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courtes. Au lieu de le nommer beau, il eût été plus juste de l’appeler l’inesthétique. » Voilà pour le côté physique ; quant au côté intellectuel et moral, cela se vaut, selon lui. « La nature, qui a refusé la force à la femme, lui a donné, pour protéger sa faiblesse, la ruse en partage. « Conclusion : fourberie instinctive et invincible penchant au mensonge. « Le lion a ses dents et ses griffes, l’éléphant et le sanglier leurs défenses, le taureau a ses cornes, la seiche a son encre qui lui sert à troubler l’eau autour d’elle ; la femme a la dissimulation, innée chez la plus fine comme chez la plus sotte. Il lui est aussi naturel d’en user en toute occasion, qu’à un animal attaqué de se défendre aussitôt avec ses armes naturelles. »

Il ne pardonne pas au christianisme d’avoir modifié « l’heureux état d’infériorité dans lequel l’antiquité maintenait la femme. » Les peuples de l’Orient, suivant lui, se rendaient mieux compte du rôle qui convient aux femmes que nous ne le faisons « avec notre galanterie et notre stupide vénération, qui est bien, ajoute-t-il, l’épanouissement le plus complet de la sottise germano-chrétienne. » N’est-ce pas elle, en effet, qui a créé la dame, qu’il tient en amère et profonde antipathie ? « la dame européenne, objet, dit-il, des railleries de l’Asie entière et dont Rome et la Grèce se seraient également moquées,.. un monstre, le produit de la bêtise humaine, machine à dépenser l’argent. » Et telle est sa rancune contre l’Allemagne, pour la part qu’elle a prise à cette œuvre inepte, qu’il termine par ces mots : « En prévision de ma mort, je fais cette confession que je méprise la nation allemande à cause de sa bêtise infinie, et que je rougis de lui appartenir. »

En dépit de ce dernier trait, Schopenhauer n’a pas eu aux États-Unis, qu’il admirait fort sans les connaître, et qui, le connaissant, l’ont médiocrement goûté, le succès qu’il obtint en Europe. La dame, objectif de ses railleries amères et de ses invectives, non contente d’avoir conquis, elle aussi, le Nouveau-Monde, est en bonne voie d’américaniser l’ancien.


II.

Chaque race s’est fait de la femme une conception particulière. Les idées, comme les langues, varient, et, pour exprimer la même pensée, empruntent des modes divers. Si, pour nous, Français, la femme personnifie notre idéal, incarnant en elle tous les détails exquis de la civilisation, pour l’Espagnol, elle est encore une madone dans une église ; pour l’Italien, une fleur dans un jardin ; pour le Turc, « un meuble de bonheur. » On sait la plainte naïve de la jeune femme arabe : « Avant d’être mon époux, il baisait la trace