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simplicité d’une Américaine, Mrs Jay, « imposante, mais agréable, » Mrs de Bréhan, sœur du comte de Moustier, ministre de France, « petite femme bizarre, fantasque et maniérée » à laquelle Jefferson, débitant de galantes sornettes, affirmait que « ses compatriotes ne sauraient mieux faire que prendre modèle sur elle, » formaient, avec Mrs Washington, l’élite féminine des réunions officielles dont l’économe Oliver Wolcott, écrivant à sa femme, disait : « Vous pouvez venir ici sans appréhension ; l’exemple du président et de son entourage rend tout étalage, non-seulement inutile, mais de mauvais goût. »

Quand le congrès, après avoir, en juillet 1790, décidé d’établir sur les rives du Potomac le siège futur de ses séances, choisit Philadelphie pour s’y réunir en attendant que la ville de Washington soit prête à le recevoir, Philadelphie devient le rendez-vous des émigrés français, des visiteurs du Sud et du Nord, la capitale des états. Renommée déjà pour la beauté de ses femmes, Philadelphie se pique de surpasser New-York. « Les belles d’ici, écrit Rebecca Franks, depuis lady Johnston, ont plus de charme dans leur œil que les belles de New-York dans toute leur personne. » Brissot de Werville les trouve belles, mais affectées ; le comte de Rochambeau leur reproche d’outrer les modes ; tous deux s’étonnent de la liberté d’allures et de langage des jeunes filles, tout en les déclarant très séduisantes. Elles le sont, de l’avis de leurs compatriotes. Quand le ministre anglais dit courtoisement au sénateur Tracy, du Connecticut : « Vos femmes américaines seraient admirées même à Saint-James, » Tracy de lui répondre : — Je n’en doute pas, on les admire bien à Litchfield-Hill. »

Si, dans cette société naissante, les modes, les usages et les manières sont encore un décalque d’Angleterre et de France, si les femmes les copient et parfois les exagèrent, certains traits particuliers et caractéristiques se dégagent et s’affirment. Le plus significatif est cette indépendance des jeunes filles qui déconcertait Brissot, et leurs libres allures que l’instinct féminin va modifier, éliminant ce qu’en a de peu seyant l’imitation virile. Miss Rebecca Franks nous les montre se réunissant pour boire du punch dès le matin, copiant le ton des hommes, passionnées pour le jeu, coquettes audacieuses. Coquettes elles resteront, mais de même que Minerve, — qui, pour être déesse de la sagesse, n’en était pas moins femme, — cessa de jouer de la flûte le jour où, se contemplant dans le miroir de l’eau, elle s’aperçut que ses joues gonflées l’enlaidissaient, elles renonceront au punch et aux cartes, tout en conservant la flirtation, qu’elles élèveront à la hauteur d’une institution.

Mrs Abigaïl Adams, femme du second président de la république,