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grande fête pédagogique qui passionne autant les parens que les élèves et les professeurs du collège de Punahou, fondé près de Honolulu par les résidens américains aux îles Sandwich. Bien que Français, je devais présider cette solennité, interroger les élèves sur un programme déterminé et leur assigner leurs rangs. Théoriquement, j’étais au courant du fonctionnement de ces écoles, qui correspondent à nos lycées et comprennent, depuis nos classes de cinquième, jusqu’à celle de rhétorique inclusivement. Le collège de Punahou était, sauf les conditions d’aménagement intérieur qu’impose un climat tropical, la reproduction exacte des collèges d’enseignement secondaire dont j’avais déjà visité quelques-uns aux États-Unis, Richement doté, pourvu d’un excellent personnel, d’un matériel pédagogique et scientifique très complet, cet établissement comptait environ 150 élèves, tant externes qu’internes.

Au centre, une vaste construction à deux étages, bien aérée, ayant vue sur un grand jardin, des pentes gazonnées et la mer, contenait l’appartement du directeur et de sa femme, les salles d’étude, de cours, salles à manger, infirmerie, lingerie, bibliothèque, etc. Deux ailes se détachant du corps de bâtiment principal, à angle droit, encadraient une grande cour de récréation et contenaient les chambres des élèves internes. L’aile droite renfermait celles des garçons, l’aile gauche celles des filles. Les uns et les autres suivaient les mêmes cours, dans les mêmes salles, prenaient leurs repas et leurs récréations en commun, travaillaient, jouaient ou causaient ensemble. Les plus jeunes avaient douze ans, les plus âgés vingt.

Quoique n’ignorant rien de ces détails, je ne pouvais m’empêcher, tout en les approuvant en théorie, de faire des réserves quant à la pratique. Involontairement, je me rappelais mes années de collège à Paris. J’évoquais les silhouettes railleuses de mes condisciples, nos allures hardies sous lesquelles se cachait un grand fonds de timidité et d’embarras, nos moqueries qui dissimulaient mal des aspirations romanesques, ce mélange de crédulité naïve et d’ignorante précocité, d’illusions enfantines et de scepticisme affecté qui, pour beaucoup d’entre nous, constituait le plus clair d’un enseignement qu’aucun professeur ne donne. Je me demandais, sans pouvoir répondre à ma question, ce qu’il fût advenu si ces jeunes filles que nous suivions d’un regard curieux, critique et gêné, alors que, sous l’aile maternelle, elles nous croisaient dans la rue, eussent été admises à prendre part à nos amusemens et à nos travaux, à devenir nos camarades, si chaque jour, à chaque heure, en classe comme au réfectoire, dans la cour comme à la promenade, elles fussent devenues nos compagnes et nos rivales.