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William, le coq de l’école, grand garçon de vingt années. Il nous narre avec complaisance cet amour timide et gauche qui s’ignore lui-même. Betsy Ann a conscience de sa beauté, qui en impose à M. Lorriby lui-même ; aussi n’en fait-elle qu’à sa tête, si bien qu’il la suite d’une incartade plus forte que les autres, Betsy Ann est condamnée à l’humiliation de recevoir sur ses doigts roses la férule du maître d’école. Bill William intervient ; il déclare que jamais, lui présent, on ne frappera Bets). Il est de taille à la protéger ; le résultat d’une lutte entre M. Lorriby et lui n’est douteux pour personne, il en sortira vainqueur. Toutefois, Bill William a le respect de l’autorité ; pour concilier son amour et ses scrupules, il s’offre à subir le châtiment à la place de Betsy Ann. Mais M. Lorriby a compris ; il devine que Bill ne se laissera pas ainsi humilier en présence de Betsy Ann, et, satisfait de se tirer d’affaire à bon compte, il déclare pardonner.

Le reste se devine. Betsy a honte de son prudent protecteur. Elle l’eût peut-être aimé si, moins sage, il l’eût plus héroïquement défendue. Bill n’y coiuprit jamais rien. Grâce à lui, elle sortait indemne de son escapade, et lui-même n’avait pas subi l’humiliation d’un châtiment corporel. M. Lorriby avait pressenti derrière son sang-froid la résolution bien arrêtée de rendre coup pour coup. Mais Betsy n’avait ni vu ni cherché aussi loin, et, sans mot dire, tourna le des à son défenseur. Il ne suffit pas d’être chevaleresque, il faut l’être d’une certaine façon.


V.

Ainsi le fut Old Hickory, le vieux bois de fer, sobriquet que ses contemporains donnèrent à Andrew Jackson, le président le plus populaire et le plus audacieux que l’on ait vu aux États-Unis, l’homme le plus dangereux, semble-t-il, que l’on eût pu choisir pour diriger, au travers de menaçantes complications, la jeune république. Homme nouveau, qui n’a, avec ses prédécesseurs, Washington, Adams, Jefferson, Madison, Monroë, John Quincy Adams, aucun point de contact, il ne possède ni leur urbanité courtoise et surannée, ni leur diplomatique savoir-faire. Il représente autre chose : un type national qui se dégage des langes du passé, dédaigneux des conventions, s’affirmant gauchement, mais ne viable et robuste. Bien que par son âge Andrew Jackson appartienne à la génération qui passe, en lui s’incarnent les travers et les qualités de celle qui s’avance. Il n’est ni homme d’état, ni politique habile et assagi, mais patriote ardent. Il sort des rangs populaires, favori de la