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d’abord à l’architecture, et qui peu à peu s’en dégage. Originairement l’édifice était nu et se composait exclusivement des parois de l’édifice. Peu à peu, certaines parties se séparent ; les colonnes, par exemple, qui soutiennent le toit. La colonne à son tour est d’abord une elle-même ; elle est carrée ; puis elle s’arrondit ; puis elle se termine en moulure ; puis la moulure devient feuillage, bientôt les murs eux-mêmes s’animent et se couvrent de reliefs, Les animaux succèdent aux plantes ; l’homme apparaît, mais sans se séparer tout d’abord de la pierre qui lui sert de soutien. Les formes deviennent peu à peu de plus en plus saillantes ; elles finissent par se séparer de la pierre : elles subsistent alors pour elles-mêmes. La sculpture est née. Elle existe lorsqu’elle est arrivée à la statue.

La sculpture est un art plus complexe et plus profond que l’architecture. Celle-ci n’a que des surfaces et des lignes. La sculpture a quelque chose d’intérieur. Elle représente le monde de la vie, comme l’architecture le monde inorganique ; il faut qu’elle fasse vivre le marbre. Il faut que la poitrine respire, que le sang circule, que les muscles palpitent. La sculpture, comme l’architecture, reflète donc les croyances d’un peuple. Dans une religion panthéiste, elle n’a pas sa place. En dehors de l’infini, il n’y a rien. La sculpture ne peut représenter que des colosses informes, des monstres qui sont les emblèmes de la vie universelle, dans lesquels se combinent les formes de l’animal et de l’homme pour symboliser l’unité de la création. Telle est la sculpture indienne. En Égypte. Lamennais voit dans l’immobilité de la statue l’image de la mort qui domine cette religion. La momie, enveloppée de ses bandelettes, est le premier type de la statue. En Grèce, la statue devient humaine. La beauté divine s’y confond avec la beauté de l’homme, et la beauté idéale et spirituelle avec la beauté physique. L’art chrétien, par son culte de l’idée pure et son dédain de la forme sensible, tend à négliger la sculpture. La sculpture chrétienne sacrifie le corps à la tête, et, dans la tête même, la beauté physique à la beauté morale. Inspirée par l’idée de la chute et de la rédemption qui sont les deux pôles du dogme, elle symbolise l’une et l’autre dans deux sortes de créations dont les unes relèvent de Satan, les autres de Jésus-Christ. Ce sont les deux types correspondant aux deux aspects de la vie. Un autre type original de l’art chrétien, c’est la Vierge.

L’architecture et la sculpture ont pour objet les solides et les reliefs, c’est-à-dire l’étendue réelle à trois dimensions. Mais la nature ne nous offre pas seulement des solides. Elle a une qualité qui est une partie importante de la vie, à savoir la couleur, inséparable