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le même. La presse politique existait à peine. Il n’y avait encore pour une telle presse ni public ni liberté. Le journalisme n’était pas une profession reconnue, je dirais presque, avouable. Les gens qui faisaient métier d’écrire dans les gazettes étaient par cela même suspects, et soumis à un régime à la fois spécial et indéterminé. Ils dépendaient du bon plaisir de l’autorité, et elle en usait avec eux à sa guise. Comme c’étaient ordinairement des gens sans conséquence, elle ne se croyait tenue envers eux à aucun ménagement. Par suite, les journaux soi-disant politiques ne contenaient rien, ou presque rien. De quoi auraient-ils parlé ? La politique intérieure, dans la plupart des petits états, n’offrait aucun intérêt. Dans les grands, il valait mieux ne pas s’y risquer. Critiquer eût été s’exposer, pour le moins, à la suppression du journal, et souvent, à la prison. Louer est difficile quand il faut louer toujours, et, en de certains cas, l’éloge ressemble dangereusement à l’ironie. Tout ce que l’autorité dirigeait ou surveillait, de près ou de loin, le théâtre, la police, les universités, les monumens, ne devait être touché qu’avec des précautions infinies. Sur la politique extérieure, la sagesse commandait un silence absolu. Tout ici était mystère. « Nous autres pauvres Allemands, nous avons infiniment plus de secrets d’état que nos voisins, » écrivait-on encore en 1782 ; qu’était-ce donc vers 1750? Chaque état était considéré par les autres comme responsable de ce qui s’imprimait sur son territoire. Qu’un journaliste donnât lieu à quelque plainte de la part d’un ambassadeur étranger, son affaire était claire. Il n’était même pas à l’abri des vengeances directes du souverain qui se croyait offensé. Dès la première année de son règne, Frédéric II donnait l’exemple de cette brutalité. Mécontent d’un rédacteur de la Gazette de Cologne, nommé Roderique, il envoya 100 ducats à son représentant à Cologne, avec ordre de faire bâtonner le journaliste qui lui avait déplu. 50 ducats ayant suffi, le roi manda à son représentant de garder le reste pour administrer à Roderique une seconde correction, « au cas où le des lui démangerait encore. » Frédéric il tenait sans doute à ce procédé, car il y recourut de nouveau pendant la guerre de sept ans. Un rédacteur de la Gazette d’Erlangen avait exprimé trop de sympathie pour l’Autriche. Le roi de Prusse ordonna à un colonel de lui faire appliquer vingt-cinq coups de bâton et d’en exiger un reçu.

Dans ses propres états, le roi philosophe ne montrait guère plus d’égards aux publicistes. Une légende contraire, il est vrai, s’est formée. Elle veut que Frédéric ait laissé à la presse une liberté jusque-là inconnue en Allemagne. « Si l’on veut que les gazettes soient intéressantes, aurait-il dit, il faut leur permettre de dire ce qui leur plaît. » Mais cette légende repose sur une équivoque. D’une complète indifférence