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en matière de religion, Frédéric permettait en effet à ses sujets de traiter à leur gré les questions théologiques, et c’était là une liberté nouvelle en Allemagne. Mais dès qu’il s’agissait de politique, la censure prussienne valait les autres. Lessing dit sans détours que la prétendue liberté de Berlin se bornait « à pouvoir dire toutes les sottises possibles contre la religion, a ce qui n’empêchait pas la capitale de Frédéric II d’être « une galère. » Deux journaux seulement y paraissaient, la Gazette de Spener et la Gazette de Voss. Ils s’imprimaient sur du papier gris à chandelle, en format petit in-4o, et n’offraient pas, selon le mut d’un historien contemporain, « la moitié de l’intérêt que l’on peut trouver aujourd’hui dans la moindre feuille rurale. » Par ceux-là, jugez des autres. Parfois, cependant, un prince recourait à la presse pour prévenir l’opinion en sa faveur ou pour répandre dans le public une version particulière d’un certain fait. Frédéric II ne dédaignait pas toujours ce moyen d’action. Mais le cas se présentait rarement. Que restait-il donc aux journaux? Les faits divers, les nouvelles de la cour et les grands événemens; à peu près ce que l’on trouve dans les almanachs. En revanche, tout ce qui ne pouvait s’imprimer dans les journaux s’écrivait dans les correspondances manuscrites, qui pullulèrent pendant tout le XVIIIe siècle.

Vers 1770, cette situation se modifia. L’initiative fut prise par Schlözer, professeur à l’université de Göttingen. Fort de sa situation, personnellement protégé par le roi d’Angleterre, son souverain (George il était en même temps électeur de Hanovre), il n’avait pas à craindre d’expier quelque hardiesse, comme Schubart, par dix ans de captivité dans la forteresse d’Hohenasperg, comme Moser, par un long emprisonnement au château de Hohentwiel, comme Winkopp, attiré dans un guet-apens sur le territoire badois, comme tant d’autres enfin, qui payèrent de leur fortune ou de leur liberté l’audace d’avoir parlé des affaires publiques. Dans plus d’un petit état de l’Allemagne du Sud, appeler quelqu’un « publiciste » équivalait à le traiter d’incendiaire. Tout écrivain politique était suspect. Schlözer n’ignorait pas que le franc-parler dont il jouissait était un privilège tout personnel. Pour trouver des collaborateurs qui eussent la hardiesse de lui signaler les abus, les actes d’injustice et de tyrannie, il était obligé de leur promettre le secret le plus absolu. Il recopiait de sa main leurs manuscrits avant de les envoyer à l’impression. Schlözer lui-même n’usait de sa précieuse liberté qu’avec discrétion. Il mesurait prudemment ses hardiesses à la taille de ses adversaires et aux représailles qu’il en pouvait craindre. Il n’a garde de s’attaquer à l’Autriche ni à la Prusse. Il n’a que des éloges, naturellement, pour le Hanovre, qui le protège, et pour les amis de