Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier domestique de l’état. Mais enfin, pour le bien même de l’état, il faut que son pouvoir ne se heurte à aucune résistance. Il a la charge de la prospérité, du bien-être, du bonheur même de ses sujets, qui sont ses enfans. Son autorité doit être, comme la puissance paternelle, indiscutée. Il est le seul juge de la place que chacun doit occuper et de la fonction que chacun peut remplir. Ainsi. Frédéric II pense qu’il faut à l’état une noblesse pour donner des officiers et des paysans pour cultiver la terre et fournir de? soldats: il ne souffrira pas que les terres nobles passent aux mains des roturiers ou que les paysans quittent leur champ. Dans l’intérêt supérieur de l’état, il s’opposera aux libres mutations de la propriété foncière. Il fera venir des instituteurs saxons pour ses paysans du Brandebourg, car il importe à l’état qu’ils reçoivent quelque instruction; mais cette instruction ne dépassera pas ui certain point, car « ce peuple stupide a-t-il besoin d’être éclairé? » La nation ressemble ainsi à un corps d’armée dont le prince est le chef, ou, plus exactement, à une machine où tout est rouage, sauf le prince, qui en est le moteur. Seul entre tant de millions d’hommes, l’initiative lui appartient : les autres n’ont qu’à comprendre ou simplement à obéir.

Frédéric II obtint par ce système de remarquables résultats. Le roi, qui ne s’épargnait pas lui-même, exigeait que tout le monde, comme lui, fit son devoir. Point de conflits, point de frottemens; par suite, aucune déperdition des forces : toutes se concentraient en une seule main. C’est ainsi que Frédéric II put tenir tête victorieusement à une coalition d’états dont plusieurs surpassaient la Prusse en ressources. Ce spectacle excita trop d’intérêt et d’admiration en Allemagne pour que le roi de Prusse n’y trouvât point une foule d’imitateurs. Mais tous n’étaient pas des Frédéric II. Leur despotisme ne méritait pas toujours l’épithète d’éclairé. Dans la plupart des petits états, c’était une tyrannie intolérable, où le grotesque le disputait à l’odieux. Point de lendemain assuré, aucun esprit de suite. « Ce qui est le plus insupportable dans nos gouvernemens, dit K.-Fr. von Moser, c’est qu’ils n’ont point de règle de conduite. » L’arbitraire, la fantaisie du prince décident de tout; heureux le peuple, quand le maître ne change pas trop souvent de favori ou de maîtresse ! Presque partout le fardeau de l’armée permanente était écrasant. Ici l’exemple de Frédéric II avait été funeste. Encore les sacrifices qu’il imposait à ses sujets servaient-ils une grande politique, justifiée par ses résultats. C’était pour la Prusse une question de vie ou de mort. Il fallait qu’elle fut une puissance militaire ou qu’elle ne fût pas. Mais nombre de petits princes, à qui l’exiguïté de leur territoire ne permettait aucune ambition, se piquaient de rivaliser avec Frédéric II. Ils entretenaient