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Voyez pourtant comme la pratique dément la théorie, comme dans l’œuvre de M. d’Indy la convention règne en souveraine. Imagine-t-on convention plus étroite, plus tyrannique, plus odieuse aux imaginations tant soit peu jalouses de leur liberté, que cette minutieuse figuration des sentimens par des leitmotive arbitraires ? Trois notes (nous n’exagérons pas) sont censées représenter l’idée dominatrice du caractère de Wallenstein : trois autres symbolisent l’idée fatale; une fugue de bassons imite le sermon d’un moine dans un camp, et une série d’accords exprime l’influence mystérieuse des astres, d’où ces accords (voici le comble) reçoivent le nom d’accords sidéraux!

Tels sont les élémens de l’œuvre ; il ne reste plus qu’à les combiner, à les séparer, à les réunir, à les démembrer chacun isolément ou tous ensemble, à les altérer dans leur rythme et leurs harmonies, à greffer les petites passions sur les grandes, à subdiviser les sentimens principaux en sous-sentimens, à retourner enfin cette salade monstre, et cela, M. d’Indy le fait à merveille. Belle vos mourir yeux font me marquise d’amour ! Ce sont là jeux de princes, oui, des princes de notre école, à nous Français qui jadis aimions le bon sens et la clarté !

Un jour viendra, je veux l’espérer, où le leitmotiv de plusieurs notes aura fait son temps. Ce sera trop alors d’une phrase ou d’un lambeau de phrase : une seule note, plus facile à caser dans les moindres coins et recoins de la mosaïque sonore, traduira un état d’âme. Alors un élève d’un élève des plus jeunes élèves de M. César Franck composera une symphonie intitulée : Œdipe roi. L’ut sera le leitmotiv du parricide: le mi, celui de l’inceste; les deux notes réunies en tierce exprimeront naturellement le caractère complet et doublement criminel du héros; dans cette œuvre éminemment suggestive, et à peu de frais, les instrumens comme les notes auront leur mission symbolique et le royal aveugle sera représenté par la clarinette, devenue le leitinstrument de la cécité.

Ne riez pas, nous touchons à cet âge d’or. Déjà l’on ne saurait entendre, ou du moins comprendre la trilogie de M. d’Indy sans avoir sous les yeux la brochure, la terrible brochure, complément de plus en plus nécessaire de toute audition musicale, la brochure, que les ouvreuses stylées des concerts Lamoureux appellent avec componction : notice analytique et thématique. Thématique, elle l’est furieusement, comme vous avez pu en juger. C’est là que nous avons trouvé les leitmotive énumérés plus haut, et les accords sidéraux et toutes ces jolies choses. Grâce à ce guide-ânes on peut suivre les motifs, les attendre, les pressentir, les reconnaître et çà et là les saluer au passage avec cette joie profondément esthétique que procure, dans le jeu des patiences, le retour périodique des dames de pique et des rois de carreau. Mais si l’on n’avait pas la brochure, on serait perdu ! L’autre jour