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C’est bien, dans tous ses traits essentiels, le bouddhisme tel qu’il nous apparaît dans la littérature. Où trouver là le secret de sa fortune?

Apporte-t-il de frappantes nouveautés spéculatives? Toutes les thèses fondamentales sont simplement empruntées, comme choses qui vont de soi, aux idées régnantes : la métempsycose, la notion du mérite ou du démérite accumulé, l’attente de récompenses et de châtimens temporaires, le nom et la conception générale de l’affranchissement final, le nirvana. Réduisez son enseignement à l’expression la plus simple, la plus primitive, vous arrivez à la formule des « quatre vérités. » Débarrassez cette formule de son vêtement scolastique, vous n’y trouverez rien que ces deux propositions : que l’existence humaine est traversée de beaucoup de maux, et, sous la loi de la mort, transitoire et instable, que c’est l’enseignement du Bouddha qui seul peut mettre un terme au mal, — une simple affirmation d’existence. La morale du bouddhisme est assurément haute et pure. Encore n’en a-t-il pas le privilège. Aucune de ses maximes qui ne se retrouve dans des œuvres ou didactiques ou poétiques qui ne relèvent pas de son influence. Quant à sa légende, elle puise à pleines mains dans le bagage mythologique de l’état religieux qu’il prétend supplanter. La création d’une communauté monastique a dû être pour le bouddhisme une force. Ce n’est point le seul attrait de ce cénobitisme, auquel l’immense majorité de ses partisans restaient étrangers, qui a fait son ascendant et étendu ses conquêtes.

Mais est-ce nécessairement par des innovations radicales que se doivent expliquer les succès d’un mouvement large et puissant comme fut le bouddhisme ? Une sève si active ne se peut alimenter que par des racines profondes, plongeant dans un sol préparé de longue main. Rien de plus attaché que l’esprit indou aux formes, aux idées, aux récits traditionnels ; la nouveauté ne s’y insinue qu’en se masquant d’apparences familières. N’y cherchez point un calcul ; c’est un trait de nature. Je ne voudrais ni contester ni même circonscrire à l’excès la part de l’action personnelle du Bouddha, Çâkya-Mouni, ou quel qu’ait été son vrai nom. N’oublions pas pourtant que le bouddhisme n’est point une secte philosophique comme tant d’autres ; c’est une religion. A le trop considérer comme un système neuf sorti tout armé de l’initiative d’un penseur profond, on risquerait de tout brouiller ; on se tromperait à la fois et sur le docteur