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de leur esprit jusqu’à la possibilité d’un doute sur la foi. » Ces musulmans endurcis, l’église, après avoir tenté de les ramener par la douceur, les livre au bras séculier, qui leur applique les rigueurs de la loi. Beaucoup de ces relaps ont été déportés en Sibérie. En 1883, des paysans tatars du village d’Apozof étaient poursuivis, devant le tribunal de Kazan, pour avoir abandonné l’orthodoxie. Les accusés déclaraient avoir toujours été musulmans ; sept d’entre eux n’en furent pas moins condamnés, comme apostats, aux travaux forcés. C’est ainsi que, sous le règne de l’empereur Alexandre III, l’islamisme a encore, en pleine Russie d’Europe, ses martyrs ou ses confesseurs.

De tels actes ont fait des Tatars de Kazan les plus zélés, et aussi les plus fanatiques, des musulmans russes. C’est l’effet ordinaire de la contrainte. Cela est d’autant plus regrettable que ces Tatars sont fort considérés de leurs coreligionnaires. Ils fournissent un grand nombre de mollahs pour tout l’empire. Le gouvernement cherche à restreindre leur influence ; il eût été plus simple de ne pas se les aliéner par une intolérance inutile. On connaît la solidarité du monde musulman. Les procédés de la Russie envers les Tatars du Volga sont peu propres à lui gagner la confiance des mahométans du dedans et du dehors. Le Tatar de Kazan se rencontre, à La Mecque, avec le Sarte de Samarcande, avec le Turc d’Erzeroum et l’Afghan de Caboul. La Russie, il est vrai, n’a garde de faire du prosélytisme parmi ses musulmans d’Asie, dans ses nouvelles conquêtes aralo-caspiennes surtout. Le Turkestan est fermé à ses missions. Elle serait encore mieux avisée en ne permettant pas, aux cent mille pèlerins qui se rassemblent chaque année, sur le mont Arafat, de dire qu’il est une contrée de ses états où le tsar persécute les vrais croyans. Heureusement pour elle, la Russie, en Asie, n’est pas seulement en comparaison avec la Turquie et l’Angleterre, mais encore avec la Chine. Or, de ce côté, la comparaison ne peut tourner qu’au profit des Russes. Pour remercier Allah d’être sujets du tsar blanc, les musulmans du Turkestan n’ont qu’à se rappeler comment les Célestes ont traité leurs frères de Kachgar.

Au Caucase et dans l’Asie centrale, plus encore que sur le Volga on en Crimée, l’Islam est équipé pour la lutte. Presque partout, les musulmans ont un clergé nombreux, zélé, instruit, si l’on peut employer le mot de clergé pour une religion qui n’admet pas d’intermédiaire entre le croyant et Dieu. Les mollahs, dans leurs mosquées et leurs écoles, ne se lassent pas d’affermir la foi du Prophète. Ces mollahs sont généralement les hommes les plus instruits de leurs communautés. Ils sont souvent, à cet égard, supérieurs aux popes