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même avec l’aide du sultan, n’y réussirait peut-être pas mieux. Les deux puissances chrétiennes pourraient entraîner chacune ses musulmans. Ce que ni le Russe ni l’Anglais ne doivent ignorer, c’est que, s’il consent à servir le cafir, le mahométan n’est fidèle qu’à la victoire.


VII.

Le bouddhisme, en Europe du moins, n’offre pas la même force de résistance que l’islamisme. De toutes les religions professées dans l’empire russe, c’est, croyons-nous, la seule dont le nombre des adhérens diminue. Cela tient moins peut-être aux mystérieuses affinités de formes ou d’esprit, si souvent signalées entre le christianisme et le lamaïsme, qu’à l’isolement des tribus qui avaient apporté en Russie la foi du Bouddha. Coupés de leurs coreligionnaires asiatiques, les Kalmouks du Bas-Volga, naguère encore tous bouddhistes, sont déjà en grande partie baptisés. Le lamaïsme sera peut-être, au XXe siècle, entièrement refoulé on Asie, et les vents d’Europe auront cessé de faire tourner ses moulins à prières. Le corps du dernier lama des Kalmouks a été brûlé en grande pompe dans la steppe, près de Vetlianka, en décembre 1886. On ne lui a pas donné de successeur. La dignité de lama, jusque-là reconnue par l’état, a été officiellement abolie, et le lamaïsme kalmouk ainsi décapité.

La propagande orthodoxe s’attaque au bouddhisme en Asie aussi bien qu’en Europe ; mais en Asie, sur l’Altaï, et aux bords du lac Baïkal, le lamaïsme, appuyé sur les bouddhistes de la Mongolie, tient résolument tête aux assaillans. Dans la Russie d’Asie, comme dans la Russie d’Europe, les bouddhistes, encore au nombre de quelques centaines de mille, sont presque tous de race mongole. Des plus féroces des hordes de Gengis-Khan, les disciples de Çâkya-Mouni ont fait le peuple le plus doux. La prédication religieuse, qui a accompli tant de miracles, n’a peut-être jamais opéré une aussi complète métamorphose. Tandis que l’Islam a laissé aux populations finno-turques voisines leurs instincts pillards ou guerriers, le bouddhisme n’a pas seulement apprivoisé la barbarie des Mongols, il les a pour ainsi dire émasculés.

Le bouddhisme ne s’est peut-être pas autant corrompu dans les glaces du Nord qu’au Tonkin ou au Japon. Les Bouriates de Sibérie ont parfois des lamas instruits, versés dans les livres sacrés. Ils possèdent une hiérarchie fortement organisée, qui dispose d’une grande autorité et jouit de revenus élevés. À sa tête est un grand-lama,