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charme principal. D’incontestables beautés d’une part, d’autre part certaines effusions et certaines fantaisies, à la mode durant la jeunesse de ce siècle, qui, après avoir ému, étonné et ravi nos grands-pères, laissent plus indifférente notre sagesse sceptique : voilà ce qui explique l’excès d’enthousiasme dont Jean-Paul a été quelquefois l’objet. Pendant le règne du romantisme, ce qu’on aima surtout chez ce poète épris du mystère, chez cet évocateur d’ombres et de fantômes, conteur non moins fantastique qu’Hoffmann, ce fut l’étrangeté des rêveries, l’abus de l’imagination et de la sensibilité. C’est alors que Mme de Staël traduisait sous ce titre, un Songe, le dialogue désespéré du Christ mort et de l’humanité orpheline, que Gérard de Nerval choisissait pour les lecteurs français dans l’œuvre du romancier allemand l’Éclipse de lune, poème mystique, la Nuit du nouvel an d’un malheureux, rêve attendrissant et moral, et que Philarète Chasles pouvait nourrir l’illusion de trouver des acheteurs pour les deux volumes de sa traduction du Titan. C’est alors aussi que Carlyle égalait ou même préférait Jean-Paul à Shakspeare, à Milton et à Ezéchiel, pour son pouvoir de sonder, d’animer, de Peupler « les abîmes sans fond du monde invisible, » pendant que Victor Hugo, ne voulant pas être en reste d’hyperbole et probablement trompé par le titre du roman que Philarète Chasles venait de traduire, comparait l’auteur du Titan... à Eschyle!

Aujourd’hui, c’est un autre aspect du talent de Jean-Paul que la critique, s’orientant d’instinct d’après les goûts nouveaux du monde, s’applique plus particulièrement à nous faire voir et apprécier. Peu touchée par les choses romanesques, sentimentales ou fantastiques, auxquelles on était trop uniquement sensible autrefois, elle recherche plutôt ce qu’il peut y avoir de réalité fidèlement peinte et d’inventions plaisantes dans les œuvres d’un écrivain qui, en étant le plus idéaliste et le plus vaporeux des poètes en prose, a été aussi ou voulu être un moraliste et un comique. Laissant, en un mot, le romantique dans l’ombre, c’est désormais l’humoriste que la critique étudie le plus volontiers, ce sont les élémens d’une définition de l’humour qu’elle rassemble avec curiosité dans ses écrits divers, et il lui est devenu plus facile, depuis qu’elle envisage chez Jean-Paul des qualités moins ambitieuses, de le juger avec cette modération dont Goethe nous a donné le conseil et l’exemple. Le mérite original du récent ouvrage de M. Firmery, c’est de nous raconter la vie de Jean-Paul et de nous expliquer son œuvre avec une simplicité qui repose des dithyrambes précédens, tracés d’une plume frémissante comme si l’émule d’Ezéchiel avait communiqué sa fièvre à ses admirateurs. Très substantielle et très complète, l’étude du jeune professeur français a été jugée, même en Allemagne, « capitale, » sinon « définitive. »