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les rapports les plus compliqués, cette lecture serait un répit exquis. » Les combinaisons les plus cachées, a dit Carlyle, il les pénètre; les plus distantes, il les embrasse d’un regard. Pour briller dans toute leur énigmatique concision, les images ne doivent pas se développer à la façon d’une comparaison logique, montrant successivement la pensée, la figure, et les signes qui rattachent la figure à la pensée; il faut les concentrer (zuzammen-drängen) et faire rentrer la pensée dans la figure, en supprimant les signes de corrélation. Ainsi, on ne dira point : Il l’appela en sifflant, comme on appelle en tirant le cordon d’une sonnette; mais : Il tira, pour l’appeler, le cordon de sonnette du sifflet. On ne dira point : Cette demoiselle se couvrait de son ombrelle, comme le soleil se cache à demi dans le crépuscule ; mais : Elle se couvrait à demi, comme le soleil, du crépuscule d’un parasol. L’étranglement de la phrase peut aller jusqu’à supprimer totalement un membre nécessaire, sans lequel elle devient, non-seulement obscure, mais absurde et fausse. Ainsi, rouler le rocher de Sisyphe et chercher la pierre philosophale sont deux emblèmes de tentatives condamnées à échouer; de ces deux emblèmes différens, Jean-Paul n’en fait plus qu’un, et il écrit : Rouler la pierre philosophale de Sisyphe. Je me demande si les étrangetés de la nouvelle école littéraire dite symbolique ou décadente n’auraient pas dans l’étrange rhétorique de Jean-Paul une de leurs origines ? Mais Jean-Paul est plus clair, et il ne contrarie point, en somme, le génie de sa langue, au lien que les décadens violentent et déshonorent la nôtre. L’allemand, par l’élasticité de ses phrases, par l’hospitalité d’un vocabulaire largement ouvert aux mots composés et aux néologismes, disons tout, par l’absence d’une véritable prose littéraire, offrait aux témérités de Jean-Paul un champ inculte et vague qu’il pouvait bouleverser et ravager sans crime. Il n’a jamais su faire un vers de sa vie, et, pour en faire, ce n’était pas l’imagination qui lui manquait; mais c’était le sens de ce qui est rythmé, mesuré et fini : il faut avoir, pour écrire en vers, le goût et le besoin d’une forme déterminée qui faisaient radicalement défaut à Jean-Paul, et dont le contraire, l’indétermination, est caractéristique de sa pensée et de son style.

Citons comme spécimen une longue phrase pleine d’images, mais d’images mal cousues, « comme une troupe de souris qui émigrent viennent se pendre à la queue les unes des autres; » phrase mal construite en outre et mal équilibrée, traînante, ennuyeuse, interminable : « Je suis entré dans le saint état du mariage, c’est-à-dire pour parler plus laconiquement, la faim m’a poussé à mordre dans la pomme de Sodome quand j’aurais dû seulement repaître mon esprit de sa belle apparence, et pour récompense j’y ai trouvé de