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ou s’il entend être pris au sérieux. Il mille, par exemple, la manière de Klopstock ; puis il se met à l’imiter gravement, sans que l’imitation trahisse la moindre intention de parodie. Il raconte, d’une jeune fille, qu’au son de la musique « elle sent toutes les larmes prisonnières s’accumuler autour de son cœur, » et, si nous n’étions pas avertis par M. Firmery, qui s’y connaît, que ce passage est ironique, nous ne nous en douterions pas, tant il a écrit dans le même goût de phrases qui paraissaient sérieuses! Il est vrai que Jean-Paul et ses commentateurs conservent la ressource de mettre toutes les incohérences de ce genre sur le compte de l’humour et de « l’idée anéantissante; » car l’humour a ceci d’extrêmement commode, qu’il n’y a point d’absurdités ni de contradictions qu’il ne puisse servir à expliquer.

Factice ou naturel, sincère ou sérieux, le sentiment fut sous la plume de Jean-Paul un thème plus heureux que l’esprit; les romans firent ce que les satires n’avaient pu faire, et il eut enfin la joie de trouver non-seulement un éditeur enthousiaste et convaincu, mais des lecteurs et des acheteurs. Il y a, au début de la Loge invisible, une scène qui fonda la réputation de l’écrivain. Le grand maître des forêts, M. de Knörr, a une fille à marier, qu’il réserve à l’homme assez habile pour gagner sur elle une partie d’échecs dans un tournoi de sept semaines. On ne nous dit pas que les perdans eussent la tête coupée ; mais la demoiselle était lasse de la monotone et interminable série de victoires gagnées sous l’œil vigilant de son père. Elle dressa secrètement sa chatte à sauter sur sa main lorsqu’elle faisait un mouvement du doigt : un jour que le capitaine von Falkenberg allait être battu, elle fit ce mouvement au bord de l’échiquier. La chatte bondit, toutes les pièces furent brouillées, et M. de Knörr, assiégé de divers côtés, finit par consentir à donner sa fille au capitaine. Mais Mme de Knörr mit une condition au mariage : le premier-né, pendant huit années, devait être élevé sous terre. Le petit Gustave fut donc enfermé dans une espèce de caveau, où il resta huit ans. Comment il respirait, comment il prenait l’air, c’est ce que Jean-Paul croit utile de nous expliquer scientifiquement. Toutes ces puérilités servent de support et d’introduction à une idée vraiment belle, originale et féconde: Gustave a un précepteur, qui le prépare de longue main à la sortie du caveau, à ce qu’il appelle une résurrection. « Si tu es sage, lui disait-il, et si tu n’es pas trop impatient, si tu m’aimes bien, tu pourras mourir. Quand tu seras mort, je mourrai aussi, et nous irons au ciel (par là il entendait la surface de la terre) ; là, tout est beau et magnifique. Là, le jour on n’allume pas de flambeau; mais au-dessus de toi, dans l’air, il s’en tiendra un aussi grand que ma tête, et tous les jours il tournera autour de toi. Le plafond est