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tremplemens de terre, la mer se lève et se courrouce, tandis que l’air offre un calme parfait et qui glace d’horreur, de même les lèvres d’Albano restaient muettes auprès de la jeune fille voilée, tandis que son cœur bondissait dans sa poitrine. Les cordes de la harpe éolienne frémissaient, comme touchées par les soupirs des habitans invisibles d’un autre monde. Des présages de tempête se lisaient au ciel ; la terre, si belle tout à l’heure, semblait se tordre dans une crise affreuse, et l’œil du jour se ferma tout sanglant. » — Je suppose que vous ayez rencontré dans le monde un monsieur qui vous a paru charmant et sympathique : vous êtes sans ami, et votre cœur vous inspire de lui écrire pour rechercher son amitié ; mais vous ne savez pas comment vous y prendre ; adressez-vous à l’auteur du Titan, il vous donnera la note : « Étranger ! dans cette heure où s’écroulent dans les larmes et dans la mort les trônes des hommes et les arches de leurs ponts fragiles, un cœur libre et vrai vient t’interroger ; que le tien lui réponde avec franchise : Étranger ! la longue prière de l’homme a-t-elle été exaucée pour toi ? As-tu un ami ? tes désirs et tes nerfs et tes jours se développent-ils ensemble avec les siens comme les quatre cèdres du Liban, qui ne souffraient que des aigles autour d’eux, etc. ? » Le précieux s’ajoute au déclamatoire ; Mascarille complète Jean-Jacques : « Il la suivit des yeux jusqu’au bout de la galerie, irrité que les glaces osassent réfléchir cette sublime image. » Des jeunes filles parlent latin : « Julienne toucha son frère du doigt et dit à voix basse : Non eam interroga amplius, num pater veniet die nuptiarum. » Je sais gré à Julienne d’avoir fait un solécisme ; mais il y a encore trop de latin dans sa phrase, et du diable si le lecteur devine comment la demoiselle a appris cette langue ni pourquoi elle s’en sert.

Cependant, ne soyons pas plus sévères que Goethe, qui, dans sa parfaite équité, trouvait « beaucoup de bon » chez Jean-Paul et félicitait Schiller d’avoir assez de largeur d’esprit pour que « le monstre nouveau » ne lui fût pas « tout à fait antipathique. » Même avant d’en venir à ses meilleurs ouvrages et aux plus sérieux motifs que la critique puisse avoir de nous demander pour lui beaucoup d’estime, quelque tendresse et un peu d’admiration, il est déjà possible de mettre en lumière jusque dans ses moins bonnes productions le talent, l’esprit et le cœur. Car la première chose qu’il faut reconnaître, c’est que cet écrivain, qui s’est donné tant de mal pour paraître spirituel, avait naturellement beaucoup d’esprit, c’est que cet exagérateur des tendres sentimens, renchérissant sur la plus ridicule manie de son époque au point de faire croire qu’il a voulu froidement s’en moquer, avait, malgré son tempérament flegmatique, un fond de sensibilité vraie et « le plus