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pressés d’en finir; mais ils différaient de sentiment sur la solution à proposer. M. Thouvenel pensait, ainsi que M. de Cavour, qu’après avoir fait l’Italie, l’empereur ne se résoudrait jamais à la défaire ni à renier son ouvrage comme le Dieu de Lamartine au lendemain de la création :


De son œuvre imparfaite il détourna la face
Et d’un pied dédaigneux la lança dans l’espace.


Il jugeait que le meilleur parti à prendre était de faire son deuil du pouvoir temporel et de garantir autrement que dans le passé l’indépendance spirituelle du chef de l’église : « De même que les rois de France se sont appelés très chrétiens, ceux d’Espagne catholiques, ceux de Portugal très fidèles, le roi d’Italie ne pourrait-il pas joindre à son titre politique celui de vicaire du saint-siège et ne détenir qu’en cette qualité les anciennes possessions territoriales des papes, pour lesquelles, à chaque avènement, il rendrait solennellement hommage et paierait un tribut au moins égal au montant des sommes destinées aujourd’hui à la liste civile, au sacré collège et aux grands établissemens religieux de la capitale de la catholicité? » Mais M. Thouvenel jugeait aussi que tant que la curie romaine se sentirait protégée par les troupes françaises, elle serait inflexible, que pour la rendre plus traitable, il fallait la troubler dans sa sécurité en annonçant et en préparant l’évacuation. Quoique la majorité du conseil se fût convertie à son sentiment, il avait à compter avec le maréchal Randon. M. Magne et le comte Walewski, énergiquement soutenus « par une auxiliaire puissante, » laquelle lui avait dit un jour des choses si poignantes qu’il s’était écrié : « Madame, si l’empereur m’avait dit la moitié de ce que Votre Majesté m’a fait entendre, ma démission serait déjà envoyée. »

M. de Gramont, quelque dégoûté qu’il fût de ses cardinaux, ne se résignait pas à l’abolition du pouvoir temporel, que la France, pensait-il, ne pouvait laisser détruire sans trahir les intérêts catholiques et ses propres intérêts, et sans manquer à de solennels engagemens. Il estimait toutefois qu’elle n’était pas tenue d’accorder tout ce qu’on lui demandait, «qu’un pape content ne lui était pas nécessaire, qu’un pape libre lui suffisait, » qu’on devait renoncer à négocier, qu’il était plus facile au saint-siège comme au cabinet de Turin « de subir que de consentir. » qu’au lieu d’un traité il fallait faire une déclaration ci garantir au souverain pontife la possession du patrimoine de saint Pierre et la Comarea, en disant au roi de Piémont : N’y touchez pas, ce serait un casus belli. « Quant aux Italiens, écrivait-il, ils accepteront tout, tout, tout ce qui sera décidé. Home ou la mort, feu de paille! Venise ou la mort, feu de paille! La masse italienne se résignera avec