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clandestines avec les Piémontais. Un homme d’un esprit pervers, qui se vengeait de sa déconsidération en médisant avec délices, ne l’a qu’à demi calomnié quand il disait de lui : « Il a toujours sa même politique de conspirateur. Il est arrivé à ce point que sa parole et ses traités ne sont plus considérés comme des engagemens. » Le fait est qu’il avait deux politiques, l’une officielle que représentaient ses ministres, l’autre qu’il faisait lui-même dans l’ombre avec les émissaires de M. de Cavour; mais il ne savait pas toujours laquelle était la bonne. On prend facilement les indécis pour des âmes dissimulées et doubles. Napoléon III, qui parut quelquefois téméraire, était le plus souvent un tâtonneur. Selon les cas, partagé entre ses affections étrangères et sa raison de souverain français, il encourageait secrètement les entreprises qu’on tramait à Turin, ou par un brusque retour, il mettait les conspirateurs en interdit, ce qui faisait dire au saint père : « C’est une politique infernale qui change à chaque instant. » Dans l’automne de 1862, il résolut d’en revenir quelque temps à la politique de résistance du comte Walewski et de l’impératrice, et le 18 octobre, M. Thouvenel était remplacé par M. Drouyn de Lhuys. — « Vous voilà content, disait au cardinal Antonelli M. Emile Ollivier, qui se trouvait alors à Rome; M. Thouvenel quitte le ministère. — Non, répliqua le cardinal ; ce sont nos amis qu’on chargera de nous exécuter. »

Un romancier et un auteur dramatique qui se respectent ne commencent à écrire que lorsqu’ils tiennent leur fin ; l’empereur ne tint que rarement la sienne. Il se mettait en route sans avoir étudié suffisamment la carte, sans connaître son chemin, se fiant à son bonheur pour le trouver et pour éviter les fondrières. Ardent à provoquer, à faire naître les événemens, impuissante les gouverner, il s’est toujours laissé conduire par la fortune où il ne voulait pas aller, de sorte que ce souverain si aventureux n’a jamais joué en fin de compte que les rôles passifs. Il avait projeté, il avait proposé, il finissait par subir.

Cruelles étaient les perplexités des diplomates chargés de représenter au dehors cette politique ambiguë, cette volonté flottante et mystérieuse qui souvent s’ignorait elle-même. Ils craignaient sans cesse de la mal interpréter et de s’attirer d’humilians désaveux. M. Thouvenel, en arrivant au pouvoir, avait écrit au duc de Gramont : » Ne craignez plus de divergence entre les Tuileries et le quai d’Orsay. La seule politique que je veuille suivre, c’est celle que l’empereur m’aura tracée, et la pensée que j’exprimerai sera toujours celle de Sa Majesté. » Mais était-il sût de la connaître? Il y a, comme disent les métaphysiciens, des entités incognoscibles. M. de Gramont avait cru exécuter les ordres de l’empereur en se conformant aux instructions du comte Walewski, prédécesseur de M. Thouvenel, et en promettant au saint-père et au cardinal Antonelli que l’assistance de son gouvernement ne leur ferait jamais