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dire : au contraire ! Et tout cela, cette combinaison nouvelle et hardie de l’adultère, à trois, ou à quatre; ces levons d’une philosophie élégamment, mais froidement cynique; ces personnages dont pas un n’a rien qui puisse nous intéresser à son sort, non-seulement on a réussi à nous les faire accepter, mais nous les avons applaudis; et un cinquième acte, qui devait tout perdre, a précisément tout sauvé.

Qui des trois en a eu l’idée, M. Pierre Decourcelle, M. Léopold Lacour, ou M. Paul Bourget? Je l’ignore; et, quand je le saurais, je n’aurais pas l’indiscrétion de le dire; mais qu’il soit neuf, qu’il soit audacieux, qu’il soit original de son cynisme même, de son impudeur, — et peut-être, hélas! de sa vérité, — voilà qui est certain. On n’avait jamais vu «l’amant sérieux » d’une «femme du monde,» lui mettre aussi clairement sous les yeux la « sottise » qu’elle allait faire en le quittant pour s’attacher au sort de son « amant de cœur; » jamais non plus un public assemblé n’avait plus docilement écouté, je dirai même avec plus de plaisir, des déductions d’une perversité plus savante; et c’est ce que me semblent avoir oublié ceux qui, dans Mensonges, pour quelques analogies superficielles, ont cru retrouver les Filles de marbre. La critique abuse aujourd’hui de ces rapprochemens, qui ne prouvent rien, mais qui l’empêchent elle-même de voir clair dans les œuvres.

Il y a plusieurs bonnes raisons du succès de ce dernier acte: en premier lieu, la précision ironique et aiguë d’un style où l’on reconnaît la manière de M. Paul Bourget; en second lieu, la science, le talent, la mesure dont M. Dieudonné a fait preuve dans la composition du personnage du baron Desforges ; et puis, et enfin, et peut-être surtout le contraste heureux de ce cinquième acte avec la lenteur et l’obscurité de trois et ; demi des quatre autres. Je dis trois et demi, parce qu’il y a deux ou trois bonnes scènes aussi dans le quatrième acte, bien faites, mais moins neuves, fort bien jouées par M. Duflos, dans le rôle de Claude Larcher, et moins bien par M. Volny, dans celui de René Vincy.

C’est qu’en vérité, rien n’est plus difficile ou plus rare que de tirer. même d’un bon roman, un bon drame ou une bonne comédie; et toute l’habileté de MM. Léopold Lacour et Pierre Decourcelle n’y a pas entièrement réussi. Quelques progrès, ou quelques concessions que le public, depuis quelques années, ait faites en ce sens, — et, pourvu qu’on l’amuse ou qu’on l’émeuve, quelles que soient son indifférence et sa facilité sur le choix des moyens, — les conditions du théâtre ne sont pas pour cela devenues celles du livre; et Mensonges en est un instructif exemple. MM. Léopold Lacour et Pierre Decourcelle auraient-ils pu d’ailleurs mieux s’y prendre? ne pas remplir leur deuxième acte, et une partie du troisième, avec des scènes de pur vaudeville, dont les effets sont trop « surs, » s’ils ne sont pas encore usés? ou bien encore éliminer tels et tels personnages, qui ne servent, comme Colette Rigaud et