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ses « mensonges, » ils lui sont devenus tellement intimes, que l’être qu’ils ont fait d’elle s’évanouirait tout entier. Ai-je besoin de rappeler aux lecteurs du roman avec quel art, subtil et savant, quelle profondeur même, M. Paul Bourget, dans Mensonges, a démêlé cette corruption ou cette perversité dont l’inconscience, assurément, ne justifie point la transcendance, mais qui fait à la fois l’originalité de Mme de Moraines, le drame, la valeur dramatique de ses amours avec son poète, — puisque le peu de nature qui subsiste en elle y lutte désespérément contre la toute-puissance de l’habitude, — et enfin la valeur durable du roman ? Quand on a fait la part d’une exagération toujours permise à l’artiste, puisqu’elle n’a pour objet, comme ici, que de mieux accorder ensemble tous les traits d’une physionomie, Mme de Moraines est « vraie, » d’une vérité plus générale qu’elle-même, d’une vérité représentative d’un moment des mœurs du siècle, aussi vraie, à mon sens, et aussi complète en son genre qu’une héroïne des romans du jeune Crébillon, ou que le Valmont des Liaisons dangereuses.

Mais, par malheur, tout ce qui l’explique dans le roman, — Tout ce qui fait que Mensonges ne ressemble pas plus aux Lionnes pauvres qu’aux Filles de marbre, — c’est ce que nous n’en avons pas retrouvé l’autre soir au Vaudeville, et c’est peut-être, j’en conviens, ce qu’il était impossible de nous en rendre au théâtre. En scène, il n’est demeuré de Mme de Moraines qu’une courtisane assez vulgaire, que l’on a prise au moins comme telle, et dont il ne m’a pas semblé que. L’amour émût ni que la perversité indignât personne. Et c’est ainsi, comme je le disais, que, du roman de M. Paul Bourget, ses habiles adaptateurs n’auraient tiré qu’une pièce assez ordinaire si, comme j’ai voulu aussi le dire d’abord, la fin du quatrième acte et le cinquième presque tout entier, en éclairant la pièce par le fond, n’avaient fait sentir la portée de Mensonges à ceux, — s’il y en a, — qui ne connaissaient point le livre, et ne l’avaient rappelée aux autres.

La Comédie-Française, quelques jours auparavant, avait « repris » Maître Guérin. C’est un usage maintenant à la Comédie-Française, on le sait, que de « reprendre » même le répertoire. Est-ce que l’on n’a pas « repris » l’autre semaine le Mariage de Figaro? On « reprendra » sans doute aussi bientôt Tartufe ou le Misanthrope. Quoi qu’il en soit, il faut bien avouer que la reprise de Maître Guérin n’a pas tenu tout ce que nous en attendions, nous qui ne connaissions la pièce que par la lecture, et qui cependant la regardions, sinon comme l’une des meilleures, au moins comme l’une des plus vigoureuses de M. Emile Augier. Ce n’est pas qu’elle ne soit encore fort bien jouée. M. Baillet manque d’aisance et de légèreté, dans un rôle pourtant assez facile, et M. Laroche, de tout dans le sien, ce qui peut-être n’est pas uniquement de sa faute; le jeu de Mme Worms-Barretta, dans le personnage