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déborde comme de toutes parts l’intrigue, quelle qu’elle soit, dont il a bien fallu qu’il empruntât le secours. On dirait une espèce de fatalité qui enveloppe tous les personnages, et du pouvoir obscur de laquelle ils ne s’affranchiront qu’en retournant, les uns et les autres, par l’expiation à la nature, et par le remords à la vérité. Mais cette idée, pourquoi M. Lemaître semble-t-il avoir craint de la mettre en lumière? Pourquoi s’est-il contenté de l’indiquer d’un ou de plusieurs traits rapides, — car, au quatrième acte, on en retrouve l’expression dans la bouche de M. de Voves? S’est-il peut-être défié du public? Je pense qu’au contraire, bien loin de l’effaroucher, il eût ainsi achevé de le conquérir. S’il est vrai qu’au théâtre on puisse en effet se passer de penser comme d’écrire, et, sans idées ni style, y réussir avec éclat, cela pourtant n’est pas nécessaire; et, en fait de conventions, c’en est une dont j’espère que M. Lemaître triomphera quelque jour.

J’aurais encore bien des choses à louer dans ces quatre actes, et, par exemple, une franchise d’émotion, une ardeur de sentiment ou de passion même, que jusqu’ici M. Lemaître nous avait cachées sous une habituelle et amusante affectation de dandysme littéraire. Les sceptiques sont pleins de ces surprises; et tant de vérités dont ils ont l’air de se jouer, ou plutôt de jongler, on ne sait pas, au fond, combien et de quel cœur ils y tiennent! Tellement, que peut-être ne s’en moquent-ils eux-mêmes avec tant de persistance que pour essayer de s’en débarrasser... Mais ceci nous entraînerait aujourd’hui trop loin... Contentons-nous donc d’ajouter que rarement pièce a été mieux jouée, avec plus d’ensemble et de sûreté que Révoltée, l’autre soir, par la troupe de l’Odéon. Mlle Sisos dans le rôle d’Hélène Rousseau, M. Gandé dans celui de Rousseau, M. Calmettes dans celui de Brétigny, M. Dumény dans celui de M. de Voves m’ont paru au moins presque irréprochables ; et je n’aurais de critiques, si j’en avais à faire, que pour Mlle Tessandier. En me rappelant que ni des uns ni des autres je n’aurais ainsi parlé à l’occasion de quelques reprises récentes, je serais tenté de dire que sans doute Révoltée les portait eux-mêmes, tant la justesse générale des rôles et leur entière vérité devaient aider à les bien jouer. Mais l’auteur lui-même m’en voudrait, et avec raison, si, dans un succès commun, je lui faisais toute la part pour n’en rien laisser à ses habiles interprètes, et j’aime donc mieux finir en disant qu’autant que Révoltée fait d’honneur à M. Lemaître, autant cette soirée en fait à la troupe de l’Odéon tout entière.