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qu’ils ont eux-mêmes ébranlée par leurs excès et leurs imprévoyances.

C’est en vérité toute la situation du moment, et c’est peut-être un étrange prélude des fêtes commémoratives qui se préparent à Versailles pour le 5 mai, de l’Exposition qui doit s’ouvrir le lendemain à Paris, qui va déployer ses merveilles devant le monde. Aujourd’hui comme hier, à part ces diversions officielles, on dirait que ministres, chefs parlementaires n’ont d’autre préoccupation que de concentrer leurs efforts contre un homme, M. le général Boulanger, qui était il y a quelques jours à Bruxelles, et est maintenant à Londres, transportant d’un pays à l’autre la fortune errante d’un candidat universel menacé d’un jugement de haute cour. Assurément, c’est un personnage importun, d’autant plus dangereux peut-être qu’il représente l’inconnu pour un pays mécontent, d’autant plus irritant aussi qu’il ne vit que d’équivoques, de subterfuges et de jactances. — Il y avait, à vrai dire, deux manières de le combattre. La première, la plus sûre sans doute, la plus digne dans tous les cas, c’était de laisser au temps le soin de dissiper cette fantasmagorie, d’éteindre cette fausse popularité, — et d’aborder résolument le pays avec une politique nouvelle. Cette politique, elle était tout indiquée, elle se dégage des circonstances, de la nécessité évidente des choses : elle se réduit à rentrer dans la vérité et dans l’équité, à réparer des fautes qui éclatent à tous les yeux, à rassurer l’opinion par une sévère et prévoyante réorganisation des finances, par la volonté déclarée, avouée, de suspendre les guerres religieuses. Devant cette politique l’homme disparaissait ou perdait tout au moins une partie de sa force. Le ministère et les républicains dont il s’est fait l’instrument ou le complice ont préféré recourir à une autre manière, aux répressions et aux menaces, aux procès et à la police. Les ministres épurent les fonctionnaires suspects. Le nouveau procureur-général poursuit des journaux. La commission d’instruction du sénat poursuit ses investigations, interroge des témoins, se met à la recherche de tous les secrets de la conspiration. Que la justice fasse son œuvre, soit; mais on ne voit pas que le danger n’est point dans ce qui est secret, qu’il est plutôt dans ce qui est public, dans cette lutte audacieuse engagée contre des institutions mal défendues, dans la situation où a pu grandir cette fortune du candidat de tous les mécontentemens. Et quand l’accusé réfugié à Londres serait condamné, qu’en serait-il de plus politiquement ? En quoi la situation serait-elle changée et les mécontentemens seraient-ils désarmés ? La faiblesse ou l’illusion de ceux qui disposent aujourd’hui du pouvoir est de mettre leur dernière chance dans des répressions d’une efficacité douteuse pour se dispenser de prévoyance, et de croire qu’ils n’ont qu’à montrer quelque hardiesse ou quelque dextérité pour ressaisir leur ascendant sur le pays sans rien désavouer de ce qu’ils ont fait.

Ils semblent n’avoir d’autre souci que de sauver leur politique en péril, de déguiser la vérité des choses, de garder les apparences devant