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à un corps d’armée tout entier. On fait remarquer que, depuis ce changement de méthode, l’administration militaire donne pour les médiocres avoines de la Norvège, de la Russie et de la Poméranie, des prix plus élevés que ceux auxquels elle pourrait acheter les meilleures avoines françaises. C’est encore un des résultats de la manie des approvisionnemens excessifs. L’administration a besoin d’avoir devant elle des entrepreneurs disposant de grands capitaux et capables de faire des avances considérables de fonds. Elle veut qu’ils entretiennent en entrepôt dans ses magasins l’approvisionnement de vingt mois et non de douze ; et comme elle ne peut payer que d’année en année, elle permet à ces grands fournisseurs de calculer et de faire entrer dans leur prix de vente la perte d’intérêts qu’ils ont à supporter. De là la majoration de prix qui excite les plaintes de nos agriculteurs, écartés des adjudications par l’importance énorme des fournitures à faire, et par les conditions singulières et inattendues imposées aux soumissionnaires. De là, pour deux ou trois groupes de grands capitalistes, un monopole de fait qui a donné lieu à de vives discussions au sein de la chambre. Un vote parlementaire, enjoignant le retour à la régie directe, est demeuré sans effet jusqu’à cette année, et le ministre, qu’on sait fort opposé à ce système, a allégué pour raison qu’on n’avait pas inscrit au budget le crédit nécessaire pour faire au moins un essai. L’ouverture d’un crédit n’aurait pas été indispensable sans un fait que la chambre ne pouvait soupçonner. Quand l’administration, de sa seule initiative, a introduit le régime de l’entreprise, elle a imposé à ses fournisseurs de reprendre les approvisionnemens déjà payés qui existaient en magasin ; il est ainsi rentré 8 à 9 millions qui auraient dû être reversés au trésor, mais qui, par un virement hardi, ont été appliqués aux dépenses de l’expédition du Tonkin, Pour revenir au régime de la régie directe, il aurait fallu restituer aux entrepreneurs les sept ou huit mois d’approvisionnemens qu’ils avaient fournis par avance, et effectivement on n’avait plus l’argent nécessaire ; il faudra demander au parlement, s’il persiste dans le vote qu’il a rendu, un double crédit pour satisfaire les anciens et les nouveaux fournisseurs. De tels faits prouvent à quel point il est indispensable de soumettre toute la comptabilité de l’administration militaire au contrôle régulier d’inspecteurs des finances.

Ce contrôle ne s’exercerait pas moins utilement sur les établissemens que le département de la guerre administre. À la différence des autres pays où le gouvernement cherche à s’entourer de toutes les lumières et fait appel à toutes les forces vives de la nation, nous voyons le ministre de la guerre s’isoler systématiquement, comme