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envie d’y retourner. Généralement, ces colonies traînent avec elles un régiment de blondes épouses et une véritable légion de jeunes albinos. Les hommes ne se marient guère aux femmes du pays. C’est une opinion bien établie chez eux qu’il n’est pas de bière comparable à celle de Munich, ni de femme supérieure à la femme allemande. Leurs ancêtres pensaient exactement de même, au moins sur le second point. Aussi est-il permis de supposer que ces îlots de paysans blonds sont les restes des Saxons du Copaonic.

Il est surprenant qu’à une époque plus reculée tant de tribus germaines, qui traversèrent la péninsule, aient complètement disparu. Au IXe siècle, on disait encore la messe en langue gothique sur les bords de l’Hellespont. Du temps de l’empereur Anastase, il y avait un petit groupe d’Hérules à l’embouchure de la Save, c’est-à-dire au lieu même où s’élève Belgrade. Aujourd’hui, les Hérules qu’on rencontre à Belgrade sont surtout des marchands autrichiens et des commis-voyageurs allemands qui vendent très cher au Slave naïf les produits de l’industrie nationale. Ils ont grandement perfectionné l’art de l’invasion. Les premiers Germains qui entrèrent dans la péninsule gagnaient leur vie le fer à la main et la menace à la bouche. Les seuls mots qu’ils aient laissés dans la langue slave signifient ruine (dens), — briser (raz drasan), — et aussi demander (sukam), — se garder (carda). Leurs descendans sont plus habiles. Ils demandent toujours, mais ils ne parlent plus de « ruiner, » ni de « briser. » Leurs manières sont engageantes, leur langage est insinuant ; leurs marchandises seules laissent parfois à désirer. Aussi font-ils des progrès surprenans. Par Belgrade, leur langue, leurs prospectus, leurs produits inondent la péninsule. Il ne leur reste plus qu’à se faire aimer. Mais c’est pour eux le plus difficile.

Les Valaques de l’intérieur ont un sort bien différent de leurs frères les Roumains. Ils ne sont point groupés en corps de peuple, mais répandus un peu partout, dans les villes, sur les routes et dans les montagnes, où ils exercent une foule de métiers presque nomades, depuis celui d’aubergiste jusqu’à celui de pasteur. Ils ont en général des trails plus réguliers, une physionomie plus mobile que les Slaves. Mais il est étonnant de rencontrer ces descendans présumés des maîtres du monde en aussi modeste posture. On dit qu’ils sont aimables cabaretiers, orfèvres recommandables et surtout excellens chaudronniers. Si respectables que soient ces différentes professions, il y a, dans un tel retour de fortune, belle matière à philosopher. Ce rétameur de casseroles, dans lequel aurait été transvasée l’âme orgueilleuse d’un Romain, pourrait dire, comme le pauvre chien savant de Sully-Prudhomme :


Oui, plains-moi. J’étais conquérant !