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d’ordre en Europe que la présence de quelques milliers de réfugiés sur le territoire suisse. Le ministre de Russie à Berlin, M. de Meyendorff, le donnait à entendre; son langage était loin d’être bienveillant pour la politique prussienne. « Mon maître, disait-il, n’a pas l’habitude de faire des remontrances, il frappe ! » Le roi Frédéric-Guillaume, abandonné par la France, réprouvé par la Russie et menacé par l’Autriche, ne devait pas tarder à reconnaître l’inanité de ses combinaisons.

« La nouvelle de la nomination du général Changarnier au commandement de l’armée de l’est, arrivée avant-hier par dépêche, a produit ici la plus profonde sensation, écrivait M. de Persigny, à la date du 2 mars. Le corps diplomatique tout entier en a été comme atterré. Quant à la cour, l’étonnement passe toutes les bornes. Ce qui l’augmente, c’est que, sur les rapports du comte de Hatzfeld, on croyait le général entièrement gagné aux royalistes. On était loin de soupçonner qu’il pût épouser contre la Prusse la cause bonapartiste ; on était certain qu’il refuserait le commandement s’il lui était offert. Jugez de l’état des esprits ! En présence de notre attitude, le cabinet de Berlin ne songerait plus qu’à battre en retraite; il céderait non-seulement sur la question des réfugiés, mais renoncerait à ses prétentions sur Neufchâtel. C’est le bruit général du corps diplomatique. On prétend que le nouveau ministre de la guerre, en raison du fâcheux état de l’armée, aurait insisté sur l’urgence d’une politique conciliatrice. — L’Autriche, d’ailleurs, rentre en scène; elle affecterait d’énormes prétentions. Elle veut la confédération germanique et demande à y entrer avec tous ses états. On parle de la concentration de 180 bataillons autrichiens sur les frontières de la Silésie. Les bruits les plus alarmans circulent et agitent le corps diplomatique. Mais ce qui domine tout, c’est l’attitude de la France. On dit et répète partout qu’elle est résolue à faire la guerre à la première occasion, et l’on en conclut que toute la politique européenne est transformée. On cherche surtout à dénaturer ma conduite. On suppose que je ne suis venu ici que pour demander à la Prusse les provinces rhénanes en échange de son agrandissement en Allemagne. Le gouvernement prussien cherche à accréditer ce bruit. C’est d’une mauvaise foi insigne, car il sait que je n’ai jamais prononcé un mot semblable. Quoi qu’il en soit, la conduite que j’ai tenue ici est excellente. Non-seulement la Prusse cédera sur la question des réfugiés, mais l’Europe dorénavant se verra forcée de compter avec nous. En tout cas, si le gouvernement prussien faisait la folie à laquelle on le pousse, en s’attaquant à la Suisse, jamais occasion plus belle se sera offerte à la France de se relever. »