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devenait hésitant. Le plan qui l’avait séduit ne lui disait plus rien de bon depuis qu’il voyait les obstacles surgir et les nuages s’amonceler. Inquiet et perplexe, il cherchait à se prémunir contre une catastrophe. Loin de pousser les princes réunis en congrès à Berlin, à faire à la constitution d’Erfurt, soumise à leur examen, le sacrifice de leurs prérogatives, il les encourageait, sous main, à la discuter sans précipitation et à en éliminer soigneusement tous les principes révolutionnaires. Mal engagé, il cherchait à gagner du temps et à ne pas fermer la porte à une réconciliation avec l’Autriche. Sa situation n’avait rien de rassurant; il était sans alliés au dehors depuis qu’il s’était aliéné les sympathies de la France, et il n’avait derrière lui que le menu fretin des princes allemands, tandis que l’Autriche, appuyée par la Russie, disposait de toutes les cours secondaires. Le roi de Bavière et le roi de Wurtemberg travaillaient avec ardeur pour la faire rentrer en scène. Soucieux de leur indépendance, ils portaient à François-Joseph des toasts significatifs.

Au mois d’octobre 1850, tous les souverains du Midi accouraient à Bregenz pour présenter leurs hommages à l’empereur d’Autriche et pour se concerter avec lui. Ils lui demandaient de se mettre à leur tête, de maîtriser la Prusse et de la réduire une fois pour toutes à l’impuissance. Tout ce qui revenait à Berlin de l’entrevue était peu rassurant. On appréhendait une coalition. Il devenait évident que l’Autriche et ses confédérés n’attendaient qu’un prétexte pour mettre la Prusse en demeure de renoncer à sa politique séparatiste et de rentrer, dégrisée de ses velléités ambitieuses, dans le giron fédéral.

Ce prétexte, la cour de Hesse-Cassel, dont j’ai raconté naguère les excentricités, ne devait pas tarder à le fournir. Les épreuves de 1848 n’avaient laissé à l’électeur aucun enseignement ; elles n’avaient servi qu’à le rendre plus fantasque, plus taquin et plus intolérant[1]. Il ne pouvait se consoler de s’être prêté à une charte libérale qui le mettait aux prises avec des chambres ingouvernables; il s’appliquait à reprendre une à une les concessions qu’on s’était permis de lui extorquer. Il rêvait lui coup d’état. Il avait trouvé en M. Hassenpflug, condamné ’jadis en Prusse pour malversation, un ministre docile, retors, prêt à toutes les violences. Dès que la chambre résistait, ils la renvoyaient cavalièrement et procédaient à de nouvelles élections. Ne pouvant venir à bout de l’opposition croissante du pays, ils l’avaient décrété en état de siège, en dépit des protestations de la bureaucratie, de la magistrature et des populations. L’armée, mise en demeure de violer la constitution, par lui nouveau serment de fidélité au souverain, s’y était refusé. Se

  1. Voir la Revue du 1er et du 15 août 1888. Une Cour allemande au XIXe siècle.