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invitations habilement suggérées à leurs mères. Dans les dîners d’apparat, elle le retrouvera à ses côtés, le tout à charge de revanche. C’est un échange de bons procédés, une société d’assistance mutuelle. Dans leurs conversations de jeunes filles, on en est aux confidences et aux aveux, aux préférences indiquées. Si son horizon s’étend, son choix se circonscrit. Elle s’imagine aimer, mais elle n’en est pas sûre ; dans le nombre de ses adorateurs, elle croit en distinguer un, mais elle hésite encore.

Troisième année. — C’est l’année décisive, l’époque climatérique. Elle est dans tout l’éclat de sa beauté et elle en a conscience. L’expérience est venue, l’assurance avec elle ; son regard limpide et d’une ingénuité savante se pose sur ceux qui l’entourent avec autant de calme que sur l’artiste qui achève son portrait pour l’exposition prochaine. Elle sait très exactement ce qu’elle veut, l’établissement qui lui convient, le genre de vie qu’elle désire. Elle sait écouter, avec un air d’étonnement ému, une déclaration passionnée, refuser, les yeux humides, le soupirant qui la presse, mais ne saurait lui offrir ce qu’elle ambitionne, et, l’importun évincé, goûter sans remords les charmes réparateurs d’un sommeil virginal. Son choix est arrêté ; sa flirtation discrète ; ses avances, habilement calculées, tempérées de modestes hésitations, ont amené à se déclarer celui en qui se trouvent réunies au plus haut degré les conditions qu’elle entend trouver dans un mari. Au printemps, elle se marie à Trinity Church avec un brillant cortège de huit demoiselles d’honneur.

— Et les autres ?

— Quelles autres ?

— Celles qui, plus femmes, ou autrement femmes, ne possèdent ni l’art, ni le savoir-faire de la jeune fille à la mode ; celles enfin que l’on n’a pas demandées, ou qui, croyant à l’amour dans le mariage et n’ayant été recherchées que par des hommes qu’elles n’aimaient pas, les ont refusés ?

Celles-là, ce sont celles qu’un écrivain américain, Mac Gillicuddy, a peintes dans une série d’esquisses publiées il y a quelques an- nées. Ce sont les Bouncers, comme les a baptisées M. Oliphant, et le nom leur est reste. La plupart des étrangers qui ont visité les États-Unis n’ont vu et entendu qu’elles ; ils en ont fait le type consacré de la jeune fille américaine, indépendante, dédaigneuse de l’opinion publique qui est, elle, indulgente pour ses travers, tolérante pour ses excentricités. Au Central Park et dans Broadway, aux bains de mer et dans les villes d’eaux, au théâtre et sur les paquebots, elles promènent leur bruyante gaîté, attirant et retenant les regards. Sur le continent qu’elles envahissent, on les rencontre partout : dans nos grands hôtels à Paris et à Nice, aux Caséines