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en voyage de noces. Le capitaine offrit galamment son bras à l’épousée et la conduisit au Bridal room, cabine spéciale réservée aux nouveaux mariés, décorée d’allégories et de fleurs. À table, assise à sa droite, il lui prodigua les complimens dus à son changement de condition, les passagers portèrent la santé de la bride, et cet appareil déconcertant, qui effarerait une jeune femme en Europe, n’avait pour elle rien que de simple et de naturel. Elle le retrouve à l’hôtel, où sa situation nouvelle la désigne à l’attention respectueuse de tous.

Elle y vit mieux et à meilleur compte. Pour le même prix, modestement installée dans un médiocre appartement, elle aurait, dès le début, à former tant bien que mal une unique servante, Allemande incapable ou Irlandaise récalcitrante, à commander des repas dont elle devrait surveiller l’exécution ou qu’il lui faudrait préparer elle-même, à se défendre contre les fournisseurs, à prévoir, calculer, apprendre ce métier de maîtresse de maison peu compatible avec les nouvelles exigences de sa position non plus qu’avec celles de son mari qui désire la trouver, quand il rentre, bien mise, élégante et reposée, toute à lui, l’esprit libre de soucis et de tracas vulgaires. L’hôtel lui assure tout cela. Dans ce cadre confortable elle se meut à l’aise, affranchie des préoccupations matérielles et des travaux grossiers. Lui absent, elle n’a d’autre occupation que sa toilette, sa culture intellectuelle, quelques visites à recevoir et à rendre, et, à l’hôtel même, nombre de jeunes femmes dans la même position avec lesquelles elle peut se lier, sortir et causer.

Pour elle comme pour lui, ce n’est qu’un campement, une installation provisoire en attendant l’établissement définitif. Mais le provisoire peut se prolonger au-delà des prévisions et, si ce mode d’existence a ses avantages, il a aussi ses dangers. Plus d’un des scandales dont la presse s’est faite l’écho est né là. L’oisiveté est mauvaise conseillère et, à trop simplifier ses devoirs, on en vient souvent à exagérer ses droits et à en abuser. L’excessive liberté dont jouissent les Américaines ne va pas sans quelques périls, et la mesure à établir entre la flirtation de la jeune fille et le désir de plaire naturel à la jeune femme ne s’apprend pas en un jour. Entre son mari, absorbé par ses affaires, éloigné tout le jour, et l’absence de devoirs qui prennent ses longues heures vides, il n’y a place que pour les occupations qu’elle se crée ou les distractions qui s’offrent. Elle reçoit qui bon lui semble, va où elle veut. Ses coquetteries plus discrètes sont aussi plus dangereuses et, pour certaines femmes frivoles et légères, la coquetterie est une seconde nature. Elles se créent une cour autour d’elles, ainsi qu’elles