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1, 800 francs de traitement, ce qui est mince ; mais ne croit-on pas que le jour où le titulaire, garanti contre les menées des partis par la possession inattaquable de son office, verra le prestige de sa fonction singulièrement grandi, cette fonction ne sera pas sollicitée, comme un honneur, par de petits propriétaires, par des membres de la bourgeoisie locale, qui y trouveront, avec un supplément de revenu, une source nouvelle de considération. Les charges de maire dans un chef-lieu de canton, ou de juge de commerce, toutes deux rigoureusement gratuites, quelquefois même onéreuses, toutes deux aussi astreignantes, par les obligations qu’elles imposent, que celles de juges de paix, ne sont-elles pas chaque jour acceptées, recherchées, par des individus d’opinions diverses, qui y trouvent la satisfaction d’une ambition légitime ?

N’est-il pas, dans notre pays, vingt occupations nullement lucratives, mais simplement honorifiques, auxquelles des particuliers médiocrement aisés se livrent sans y être forcés ? L’emploi de juge de paix, si peu rétribué qu’il soit, serait certainement brigué par de toutes autres personnes que celles qui l’occupent aujourd’hui, le jour où il deviendrait une vraie et libre magistrature ; comme au contraire on verrait baisser le niveau social des juges de commerce et des maires de canton, si on les mettait à la nomination des ministres de la justice et de l’intérieur, en les appointant d’un billet annuel de 1,000 ou 1,200 francs ! Lors même que l’on désirerait, par un sentiment de très fausse et de très sotte démocratie, attirer par un traitement plus alléchant des candidats plus capables, le moyen en a été maintes fois indiqué et il ne grèverait en rien le budget de la justice. L’effectif de nos 2,900 juges de paix pourrait être réduit d’un tiers ; un millier d’entre eux seraient supprimés sans inconvénient. Ceux qui seraient maintenus verraient diminuer leurs loisirs ; ils ne seraient pas tentés de s’entendre avec les commissaires de police, pour laisser leur prétoire fermé lorsque le rôle ne comporte pas un certain nombre d’affaires à juger, comme une circulaire récente du garde des sceaux le leur reprochait ; leur juridiction s’étendrait sur deux cantons où ils tiendraient alternativement leurs audiences, et l’économie réalisée sur les sièges supprimés viendrait grossir les émolumens de ceux dont la situation pécuniaire est aujourd’hui la moins brillante.


IV

Mais pour que le pouvoir judiciaire joue utilement, dans notre pays, le rôle de contrepoids auquel il est destiné, il ne suffit pas que tous ses représentans soient inamovibles, qu’aucun ne soit