Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’unité allemande, vous avez crié : Vive l’empire allemand ! que vous avez coopéré à la dissolution de la diète germanique, à l’élection d’un parlement allemand et à la constitution d’un pouvoir central en la personne du lieutenant-général de l’empire ; qu’ensuite vous avez travaillé à la dissolution de ce parlement et au renversement de ce pouvoir central pour former une union séparatiste allemande, ce qui pourra vous mener à une guerre. En d’autres termes, vous avez été révolutionnaire non-seulement dans le cabinet, mais encore dans la rue. En Suisse, nous n’avons pas été aussi loin, la révision du pacte de 1815 s’est opérée de la manière la plus légale, c’est la diète qui a révisé ; la nouvelle constitution a été acceptée dans son ensemble par l’unanimité des cantons. Or, après tout ce que vous avez fait et dans vos états et dans la confédération germanique, on ne s’explique pas que vous vous refusiez à reconnaître ce qui légalement a été fait à Neufchâtel. »

L’apostrophe était sanglante ; Frédéric-Guillaume ne la pardonna jamais. Châtier la Suisse et lui reprendre Neufchâtel devint son idée fixe. « Je demande pour prix de ma neutralité sincère et autonome, écrivait-il à M. de Bunsen, son envoyé à Londres, au début de la guerre de Crimée, pour prix des services que je rends à l’Angleterre dans cette funeste rupture avec la Russie et les traditions chrétiennes, la promesse sacrée de me restituer sans conditions mon fidèle Neufchâtel avant et après la paix. Je demande à l’Angleterre une réponse : Veut-elle et peut-elle faire rétablir mon autorité dans ma fidèle petite principauté du Jura, aujourd’hui foulée aux pieds ? Si l’Angleterre n’est pas claire et précise, j’adresserai la question à la Russie, et si la Russie ne me répond pas clairement, je prierai Dieu de me rendre plus fort. »

La monomanie précède la folie, le roi devait avec l’obstination d’un maniaque poursuivre la revendication de Neufchâtel jusqu’au jour où sa vive intelligence sombra dans les ténèbres. Sans la médiation de l’empereur Napoléon, la guerre eût certainement éclaté en 1858 entre la Prusse et la Suisse.

Inquiète des menées de Mazzini et toujours prête à intimider un voisin dangereux, l’Autriche en 1850, prenant le roi par son faible, poussait la Prusse à une intervention armée, dont le rétablissement de l’autorité royale dans la principauté devait être le prix. Elle y voyait un autre avantage, celui de brouiller le cabinet de Berlin avec l’Elysée, car elle savait que pour Louis Napoléon c’était une question d’honneur de protéger ceux qui, au risque des plus graves complications, jadis avaient refusé son expulsion au gouvernement de Louis-Philippe.

C’est avec ces arrière-pensées que le cabinet de Vienne et