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éducation qui apprend, avec la connaissance et le respect de la figure humaine, son maniement facile et son emploi expressif. Si nous nous abandonnions sur ce point, nous serions vite perdus. Une critique sérieuse ne saurait donc se montrer indifférente pour les rares efforts qui se peuvent faire encore dans le sens de ces études nécessaires. Il est possible que la décadence ; de la culture classique doive dessécher, pour les générations nouvelles, ces sources abondantes de la poésie et de l’histoire antiques où s’inspiraient les générations passées et rétrécir le champ où s’associaient naturellement la science ; des formes en mouvement et l’amour de la beauté plastique. Néanmoins, il n’est pas vrai de dire que ce champ ne puisse plus être cultivé et, lors même que les peintres nouveaux, de plus en plus emprisonnés dans un réalisme étroit, parviendraient à s’interdire tout essai de rêve et tout élan d’imagination, ils trouveraient encore, dans la vie moderne, mille occasions de s’exercer à l’étude de la figure vivante.

De ce côté, en dehors des traditions et des formules, il y a certainement des trouvailles à faire. Parmi les réalistes de la jeune école, ceux qui ont quelque ardeur dans le sang et quelque poésie dans la tête en éprouvent bien le sentiment. M. Roll, qui poursuit avec conviction et avec talent ses études en plein air, avait fait déjà, en 1886, jouer dans une prairie verte mie femme nue avec un jeune taureau : il donne aujourd’hui, comme conducteur à une autre bête de même race, un gamin en culotte courte, dont le torse nu s’étale au soleil. Rien de plus vraisemblable, de plus campagnard, de plus nature, comme on dit. Mais ce torse n’est-il pas, plus que de raison, amolli et creusé, sous prétexte de lumière ambiante ? Je le crains, bien que M. Roll compte, au nombre de ses mérites, celui d’être un praticien franc et hardi, ne reculant devant l’expression d’aucune vérité. Peut-être lui manque-t-il, à lui aussi, dans une certaine mesure, cette connaissance profonde des dos-sous osseux et musculaires qui donne seule aux corps leur solidité et leur consistance. Remarquez bien que la solidité n’implique point la dureté, et que consistance ne veut pas dire lourdeur ; la dureté et la lourdeur sont précisément le fait des figures mal bâties par des anatomistes peu exercés ; il n’y a que les maîtres dessinateurs pour savoir prendre avec les corps toute liberté, pour savoir les assouplir, les animer, les simplifier à leur gré. Il y a quelque exagération dans le parti-pris avec lequel on regarde aujourd’hui des figures, habillées ou nues, dans un paysage, comme y devant être fatalement dévorées par la lumière dans leurs contours et dans leur modelé. Nous avons déjà eu l’occasion de dire ce que nous pensons de cette atténuation systématique des épaisseurs et des