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une question qui nous touchait de près ; il restait à savoir si les tendances conciliantes du ministre des affaires étrangères l’emporteraient sur les résistances du président du conseil. Le sentiment public en Prusse étant hostile à une alliance avec l’Autriche contre la Suisse et faisant bon marché de la principauté de Neufchâtel, il était permis d’espérer que la sagesse du ministre des affaires étrangères prévaudrait ; mais la cour de Potsdam était changeante ; elle nous prodiguait les caresses lorsque ses affaires en Allemagne se brouillaient, elle nous tournait le dos dès qu’elles se rassérénaient. À ce moment, elle se croyait de force à se passer de notre concours. Tout marchait au gré de ses désirs. Elle disposait au parlement d’Erfurt[1] d’une majorité docile, le collège des princes se prêtait servilement à tous les sacrifices, et si les bavarois et les Saxons grommelaient et montraient le poing, l’attitude de l’Autriche n’avait rien d’inquiétant. — M. de Persigny, fort perplexe sur l’issue de la crise, se demandait si la raison ne l’emporterait pas sur les passions, lorsque le baron de Prokesch, si sévèrement caractérisé par M. de Bismarck, dans ses correspondances de Francfort, vint, dans une pensée facile à saisir, lui dénoncer les secrets agissemens de la Prusse. À l’entendre, elle nous jouait sous main, « car, disait-il, tout en vous tranquillisant, elle fait tous ses efforts à Vienne, auprès de mon gouvernement, pour l’entraîner à des mesures violentes contre la Suisse, avec ou sans la France et au besoin contre elle ; mais, ajoutait-il, d’un ton ému, en lui serrant la main avec effusion, ne craignez rien, nous ne ferons rien sans vous. » Les diplomates louches ont souvent des tics révélateurs. Lorsque M. de Prokesch voulait donner le change à l’un de ses collègues, il s’emparait de sa main, et, la larme à l’œil, la pressait chaleureusement sur son cœur.


III. — VIOLENTES ALTERCATIONS.

La tactique des gouvernemens allemands à cette époque consistait à se dénoncer réciproquement, tout en protestant de leurs sentimens de loyale confraternité. En noircissant la Prusse, M. de Prokesch comptait lui faire perdre l’appui que nous lui prêtions en Allemagne aux dépens de la politique autrichienne. Il avait bien calculé, ses confidences firent bondir M. de Persigny.

Les diplomates improvisés reconnaissent parfois leur inexpérience, mais rien ne leur est plus sensible que de passer pour

  1. Le parlement d’Erfurt s’ouvrit avec solennité le 30 mars. Il était composé de deux chambres représentant, l’une des princes et les états sous le nom de Staatenhaus, et la seconde celui des peuples sous celui de Volkhaus ; M. de Radowitz était l’organe de la commission administrative.