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inouïe ; mais comme ce langage dans la bouche d’un homme qu’on sait honoré de votre confiance paraît être l’expression d’une politique résolue, prête à tirer l’épée à la première insulte, l’étonnement du cabinet prussien et du corps diplomatique prend toutes les formes du respect et de la crainte.

« Déjà j’avais parlé de la sorte au prince de Schwarzenberg[1]. Tenez pour certain, lui avais-je dit, que le prince président ne veut pas subir le sort de Louis-Philippe, qu’il ne fera pas la guerre pour son plaisir et qu’il mettra toute sa sagesse et toute sa prudence à l’éviter ; mais qu’à la première humiliation que les anciens préjugés de l’Europe voudront lui imposer, vous verrez les effets d’une étrange résolution. Vous croyez que la France est faible parce qu’elle a de mauvaises institutions. Oui ! elle est faible dans la paix, parce qu’à côté de ses mauvaises institutions elle n’a aucun but devant elle ; mais que la guerre éclate, et vous verrez ce qu’il y a de vitalité dans notre nation. Vous connaissez les partis qui attaquent le gouvernement, mais vous ne connaissez pas les masses qui le défendent. Vienne le jour où le nouveau Napoléon appellera la France aux armes, et vous verrez avec quelle facilité tous ces partis qui font tant de bruit seront noyés dans les grosses masses... Vous avez été frappé, ajoutai-je, de la vive et profonde sensation produite par la lettre à Edgar Ney, et ce n’était qu’un appel indirect à l’esprit de nationalité française ; mais vous verriez bien autre chose, si c’était un appel direct, un cri de guerre enfin pousse par un Napoléon !

« Voilà ce qu’il faut faire entrer dans la tête des cabinets européens; voilà ce qu’ils sentent au fond et ce qui leur commandera le respect. Mais, jusqu’ici, il faut bien le dire, personne avant moi dans notre diplomatie n’avait fait entendre ce langage. Les cabinets avaient tous le sentiment de la force populaire du nom de la France, ils en avaient la crainte, la terreur même; mais, n’ayant affaire qu’à des hommes des anciens partis, tous indifférens, sinon hostiles au nom de Napoléon, ils avaient fini par se persuader que cette force mystérieuse était émoussée, qu’elle n’avait pas conscience d’elle-même et qu’après avoir servi en France au rétablissement de l’ordre, elle disparaîtrait un beau jour sans que l’Europe en eût ressenti la pression. — Aussi, croyez-le bien, tout ce que j’ai dit à l’étranger a fait une profonde impression. On n’en est pas encore venu à respecter le gouvernement français, parce que la force dont

  1. M. de Persigny avait été chargé en 1849, par le président, de parcourir l’Allemagne et de sonder ses dispositions. Il avait conféré à Vienne avec le prince de Schwarzenberg, et à Berlin, il avait obtenu, à l’insu de notre ministre, M. de Lurde, qui l’avait reçu fraîchement, une audience du roi.