Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par Roland, soit par Esclarmonde, on est heureux de ne plus retrouver l’essoufflement, la hâte fatigante, j’allais dire poussive, des pages qui précèdent. Pour les premières paroles : Chère épouse, ô chère maîtresse, on voudrait peut-être un peu moins de maniérisme, on se passerait de ce grupetto trop mièvre ; mais on ne saurait souhaiter une chute plus élégante, une plus tendre réponse d’un orchestre ici délicat et pénétrant. Les anges, aussi bien que les démons, obéissent aux volontés d’Esclarmonde. Ils arrivent à sa voix et la jeune femme, prenant devant eux l’air le plus convenable, leur donne ses instructions mystiques. Deux d’entre eux lui remettent l’épée miraculeuse de saint Georges, elle-même en arme son bien-aimé. J’aime assez le cantique de Roland recevant le glaive sacré, ce thème bien franc, d’un sentiment à la fois héroïque et religieux, avec une heureuse couleur moyen âge. Il n’a qu’un tort, si c’en est un, celui de débuter par certaine formule liturgique dont Wagner a fait un des principaux motifs de Parsifal.

Voilà les deux meilleurs tableaux d’Esclarmonde ; les autres ne se tiennent guère. Intéressez-vous donc au vieux roi Cléomer, à ses lamentations banales, au facile triomphe de Roland et de son épée magique ! — La musique ici, du moins au début, n’est que le bruit, un bruit effroyable, un vacarme qui déchire les oreilles, un tintamarre sans grandeur ni puissance. La prière de l’évêque est glaciale, et la foule ferait bien de suivre des yeux le combat pour nous le raconter, plutôt que d’entonner, en dehors de toute action dramatique, une importune et médiocre oraison.

Dans la scène suivante, deux excellentes pages : d’abord la mélodie de Roland : La nuit bientôt sera venue, avec son rythme original, et sur les mots : O mon épouse, ô ma maîtresse, des syncopes langoureuses et charmantes ; plus loin, la belle, fort belle plainte d’Esclarmonde : Regarde-les, ces yeux, écrite dans un sentiment très profond, très sincère, de douleur et de honte virginale. Mais oui, virginale ; car cette jeune personne garde malgré ses écarts des grâces étonnamment pudiques. Elle soupirera encore dans la forêt des Ardennes une cantilène d’une exquise pureté : En retrouvant la vie et la pensée. Puis ce sera fini, nous n’aurons plus qu’une phrase touchante du ténor au dernier tableau : Mon nom est Désespoir, je m’appelle Douleur. Le reste ! Permettez-nous de n’en rien dire, surtout de ne pas nous engager dans la fâcheuse forêt des Ardennes, rendez-vous général des personnages de la pièce, de ceux qui viennent de Byzance et de ceux qui viennent de Blois. Les librettistes et le musicien se sont égarés dans cette forêt fatale où ce n’est vraiment pas la peine de les suivre.

M. Massenet ne se plaindra pas des interprètes d’Esclarmonde ; il a