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devienne insensible à la grâce de l’innocence chez l’enfant, à cette spontanéité d’une vie qui tend à se répandre et à se donner, sans connaître encore les dures nécessités de l’existence et la lutte des égoïsmes ? De plus, aimer l’enfant, c’est aimer en lui l’humanité future, et il n’est personne qui n’ait en soi-même le germe des sentimens de la paternité. A l’autre extrémité de la vie humaine, quand l’innocence et la vertu même ont fait place à quelque chose de plus beau encore, et que la bonté est devenue une seconde nature, quand la source intérieure est tellement féconde et surabondante qu’elle déborde sans effort, cette expansion de l’amour a par cela même le caractère de la grâce. Et la grâce peut avoir sa sublimité, son infinitude, tout aussi bien que la puissance, dont elle est en dernière analyse la plus haute manifestation. Quand la puissance de la volonté généreuse, se faisant aimer à force d’être aimante, trouve dans les autres volontés un concours au lieu d’un obstacle, quand elle nous donne ainsi le pressentiment d’un monde où, au lieu de la lutte pour la vie, régnerait l’union dans la vie, conséquemment l’universel amour et l’universelle félicité, comment notre être tout entier ne serait-il pas subjugué d’une victoire où il n’y a plus de vaincus et où ceux mêmes qui se soumettent triomphent de leur soumission volontaire ? A ce point, nous avons certainement obtenu le plus rapproché des « équivalons » de l’obligation morale que l’humanité future puisse concevoir : c’est la suprême amabilité de la volonté amiante. La grâce, qui excite l’amour, est le symbole de l’amour même. Après l’obligation morale, Kant nous représente la dignité morale comme un autre « mystère. » Selon nous, la dignité est encore en grande partie réductible à des élémens esthétiques qui en assurent la durée dans l’avenir. La dignité est le sentiment que l’être a de sa valeur, de son rang, soit physique, soit moral, dont il ne veut pas déchoir. L’être physiquement beau, quoiqu’il ne soit pour rien dans ses dons naturels, en tirera toujours une certaine fierté et ne consentira pas à l’abandon de ses avantages esthétiques, qui sont en même temps des avantages sociaux. La beauté physique est donc déjà une sorte de dignité et de noblesse visible, indice d’une race perfectionnée et annonce d’une race plus haute encore. Persuaderez-vous à une femme, sans quelque raison supérieure, de se mutiler, de s’enlaidir, de se vieillir ? Vous n’y parviendrez pas, tant le souci de la beauté physique est devenu une seconde nature et une sorte de fierté physique. La fierté intellectuelle, au point de vue du libre arbitre, n’est guère plus justifiée que l’autre aux yeux du philosophe, puisqu’il ne dépend pas de nous d’avoir une intelligence médiocre ou du génie. Et cependant, si philosophe qu’on soit, il