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constitution des enfans est un mélange d’élémens empruntés à la constitution des parens, et juxtaposés plutôt que parfaitement, combinés. De là l’atavisme, ce retour chez les descendans de traits propres à certains de leurs ancêtres, et qui montre combien est mobile l’équilibre produit par la fusion des constitutions paternelle et maternelle. La loi des croisemens, selon M. Spencer, est encore une explication des anomalies dans les traits. Qu’une race pure dont tous les élémens constitutionnels, bons ou mauvais, sont depuis longtemps fondus et équilibrés, vienne à se croiser avec une race mêlée : elle lui imposera ses caractères propres au lieu de subir les siens. C’est ce qui est arrivé quand on a voulu corriger les races de moutons français, — races inférieures, mais pures, — par le croisement avec les races anglaises, supérieures, mais mêlées : les traits des races françaises ont surnagé malgré tous les mélanges, sans amélioration notable. Les races humaines, remarque M. Spencer, sont toutes de sang mêlé : un Anglais, un Français, résument en eux je ne sais combien de races humaines. Leurs constitutions sont donc formées d’élémens hétérogènes juxtaposés et encore mal fondus. Il en résulte la possibilité d’une foule de discordances organiques : un système cérébral développé, et, par conséquent, une nature mentale élevée, peut donc se trouver joint à une structure imparfaite des os et des muscles de la face. Le visage de Socrate rappellera certains ancêtres inférieurs, tandis que son esprit viendra d’ancêtres supérieurs. Mais la physionomie, qui est plus véritablement individuelle, corrigera les laideurs héritées, et même, à la longue, pourra réformer les traits, intellectualiser un visage d’abord plus ou moins simiesque. Selon M. Spencer, il est inévitable qu’à la longue l’équilibre s’établisse, au sein de l’humanité, entre les divers élémens fournis à l’individu par l’hérédité ; le progrès fera donc disparaître peu à peu les discordances : la beauté extérieure tendra à exprimer de plus en plus fidèlement la beauté typique intérieure. A la limite, dans la société idéale de l’avenir, les traits et la physionomie seront le parfait miroir de la beauté ou de la laideur, morale : on lira sur le visage de chacun ce que vaut son esprit. Si ce rêve se réalisait de plus en plus, ce serait un nouvel appui esthétique de la moralité, puisque, par une sorte de sanction physiologique, le vice entraînerait pour l’individu l’enlaidissement de soi-même et de sa postérité.


III

Il nous reste une difficulté à résoudre. L’influence croissante du raisonnement et de l’analyse dans nos sociétés modernes ne sera-t-elle point aussi dissolvante sur les sentimens esthétiques qu’elle