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et plus fixe dans l’école libérale et doctrinaire de Gervinus et de Dahlmann, après l’échec de la révolution de 1848. Lorsque dix ans plus tard, M. de Treitschke débutait en qualité de Privat-docent à l’Université de Leipzig, centre de la librairie allemande, où toute la vie intellectuelle de l’Allemagne venait affluer, il se trouvait au foyer même du mouvement unitaire. Il y avait là tout un groupe d’hommes, Stephany, Mathy, Julien Schmidt, l’historien de la littérature allemande, Gustave Freytag, le romancier, qu’animait une même pensée d’unité, mais qui étaient aussi des esprits réalistes et pratiques, et qui poursuivaient sinon avec plus d’ardeur, du moins avec plus de clarté le but si confusément cherché. Ce petit groupe, noyau des nationaux libéraux, se rattache au parti de Gotha (ainsi nommé à cause du parlement tenu à Gotha en 1849) et à ses chefs les professeurs Gervinus, Dahlmann, Gneist, Waitz, Sybel, Hausser, qui visaient à faire l’Allemagne une, à en exclure l’Autriche, à mettre la force de l’état prussien au service de la révolution allemande, et à réaliser par elle l’état national. Ce sont eux qui ont élaboré le programme accompli par M. de Bismarck, avec le libéralisme parlementaire en moins, cher aux doctrinaires de l’école de Gervinus, mais dont la génération suivante, celle de 1858, fera bon marché. À cette date, M. de Treitschke vivait dans l’intimité de cette petite société de Leipzig, dite « Société des hannetons, » Maikäfergesellschaft : on se réunissait le soir à la brasserie’, et là, autour de la table ronde, entre les brocs et les hanaps, on devisait passionnément sur l’avenir de la patrie, sur la mission providentielle de la Prusse à régler les destinées allemandes. Tel était aussi le thème des leçons que M. de Treitschke professait à l’université saxonne, malgré le mécontentement de M. de Beust, alors premier ministre de Saxe. Nous le trouvons ensuite enseignant la bonne parole à l’université de Kiel, à Fribourg en Brisgau, à Heidelberg, où il succédait à l’historien Hausser, ardent apôtre de l’unité. En 1874, M. de Treitschke a été appelé à Berlin, son vrai théâtre. Il a siégé quelque temps au Reichstag, il est historiographe en titre du royaume de Prusse. Apprenons à connaître en lui le chef de file et le modèle d’une école de professeurs que l’on rencontre fréquemment aujourd’hui dans les universités allemandes[1], et qui n’ont rien de commun avec une autre race presque disparue de docteurs d’outre-Rhin, savans séquestrés du monde, courbés sur des parchemins jaunis, ou métaphysiciens abstraits, absorbés, au fond de leur poêle, dans la méditation des problèmes nocturnes touchant l’origine et la fin des

  1. Abel Lefranc, Notes sur l’enseignement de l’histoire dans les universités de Leipzig et de Berlin (Revue internationale de l’enseignement du 15 mars 1888).