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célèbrent aujourd’hui sous le nom des idées de 1789, étaient depuis longtemps en Prusse exécutées ou près d’être accomplies. La liberté de conscience y était ancienne, la liberté de la presse peu entravée ; les églises, dans le Nord, évangélique, presque partout soumises à la suprématie de l’État ; les biens ecclésiastiques sécularisés ; les privilèges de la noblesse sinon supprimés, tout au moins restreints, et ce qu’il y avait de suranné dans l’ordre de la société pouvait paisiblement disparaître par une ferme volonté réformatrice. » Le seul bienfait que l’Allemagne ait retiré de la révolution, ç’a été la ruine du saint-empire romain.

Adversaire d’ailleurs acharné de cette révolution française « déchaînée par les forces démoniaques de la nature celtique, » et occupé, à travers toute son œuvre, à en combattre le prestige, M. de Treitschke oppose à son radicalisme cosmopolite l’école historique qui se fonde en Allemagne, à son catéchisme de lieux-communs sur le droit naturel, le développement de l’Etat prussien. Il montre combien les hommes qui ont travaillé à l’œuvre silencieuse du relèvement et de la réorganisation de la Prusse après 1806, Stein, Niebuhr, Scharnhorst, Gneisenau, étaient éloignés de cet esprit. Le seul Hardenberg, talent sans caractère, inclinait aux idées françaises, et ses conseils ont été funestes. Quant aux autres, véritables fondateurs de la grandeur prussienne, ils se déclarent ennemis de tout système politique abstrait. C’est à leurs yeux un crime de prétendre fonder l’État sur la raison pure : élaborer une constitution, ce n’est pas construire a priori, c’est tirer le présent du passé. Ils placent la pierre angulaire de toute liberté dans le self-government, qui initie chaque citoyen à la pratique des affaires et l’habitue à se tenir sur ses pieds. Niebuhr disait : « La liberté repose infiniment plus sur l’administration que sur la constitution. » La même pensée a inspiré les réformes de Stein sur l’organisation municipale, œuvre créatrice alors sans modèle en Europe, et pourtant conservatrice, car elle se rattachait à de vieilles traditions inoubliées, et d’un esprit absolument opposé à la centralisation napoléonienne.

Mais les idées françaises, par un singulier retour, vont renaître en Allemagne après 1815. Elles vont se répandre dans la classe cultivée, parmi les étudians et les professeurs, sous la double influence de la déception causée aux partisans de l’unité par les traités de Vienne et du mécontentement contre le roi de Prusse et les princes qui avaient fait à leurs peuples, en récompense des sacrifices de la guerre de délivrance, des promesses de constitutions qu’ils se gardaient bien de réaliser. Ce sont d’abord de vagues formules de liberté et d’égalité, empruntées aux Français, qui se