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discrédite en Allemagne, même sous sa forme atténuée. Ses délibérations deviennent d’année en année plus longues et plus stériles, les hommes de talent s’en éloignent de plus en plus ; le public ne s’y intéresse, frac si M. de Bismarck prend la parole. La qualité de député au Reichstag ne passe plus dans la bonne société de Berlin pour une distinction, loin de là. Il n’y a ni vitalité ni prestige dans les combinaisons de ces coteries envieuses.

La seule force vivante de l’Allemagne, la seule puissance conservatrice et sociale, c’est la couronne de Prusse. L’avenir appartient à la démocratie : qui serait assez aveugle pour le nier ? Mais il n’y a nullement opposition entre démocratie et monarchie. C’est au contraire un immense bienfait pour une race démocratique, qu’une dynastie qui a créé l’Etat, qui a grandi avec lui, qu’un prince qui n’est que le premier serviteur du pays, qui domine l’égoïsme des partis et des classes riches, loin de leur servir d’instrument, seul assez fort, assez respecté pour protéger la liberté confessionnelle, adoucir les inégalités sociales, et faire du sort des ouvriers et des pauvres sa préoccupation constante. La formule parlementaire : « le roi règne et ne gouverne pas » ne saurait s’appliquer à la Prusse. Le prince y est un des facteurs essentiels de la législation, celui qui décide en dernier ressort. De lui relèvent directement les deux institutions essentielles, la diplomatie et l’armée. En poursuivant contre son parlement la réorganisation de son année, le roi Guillaume a sauvé par là ce qui importe plus que la majorité de la chambre basse, l’existence même de la Prusse et sa force à unir l’Allemagne. L’organisation civile doit être en effet subordonnée à l’organisation militaire, et depuis la fondation de l’empire le progrès en ce sens a été constant. C’est du roi seul, c’est de l’empereur que relève l’armée, à laquelle toutes les autres institutions sont adaptées. Grâce à ces principes si contraires à ceux d’un gouvernement de parti, l’Allemagne pourra s’assurer en Europe, et dans la domination du monde transatlantique, la part qui lui revient, renouveler la puissance maritime de la Hanse, songer à son empire colonial, dont l’excès de sa population et la marée montante du socialisme lui font une nécessité. — Ces tâches une fois accomplies, alors, dit ironiquement M. de Treitschke, l’Allemagne pourra se donner le luxe d’un gouvernement libéral et parlementaire, avec tournois oratoires, sur le modèle anglais.

Cette apologie de l’État monarchique et guerrier, de l’Etat de proie, aboutit logiquement à une apologie de la guerre. M. de Treitschke a fait le commentaire et la paraphrase des pensées de Fichte, de Hegel, de M. de Moltke sur la guerre, et du vers de Geibel : Eisern, eisern ist die Zeit, — notre âge est de fer ! La guerre est