Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éteinte. Presque personne ne comprenait plus son langage guttural. Il attendait la mort.

On le connaissait dans le voisinage. C’était là, me dit-on, que jadis se réunissaient ses ancêtres, quand tous les hommes valides de la tribu devaient prendre une décision. Ici, les assemblées houleuses décidaient la paix ou la guerre. Le silence a maintenant envahi le site, les wigwams ne fument plus et des settlers irlandais ont remplacé les Peaux-Rouges. Celui-ci revient ici instinctivement ; il s’assied sur l’herbe et reste immobile de longues heures. Parfois, se croyant seul, il pousse des cris rauques, des whoop stridens, comme des cris de guerre, de ces mots de ralliement qui, île proche en proche, rassemblaient autrefois les membres épars des tribus.

L’écho seul répond à sa voix. Et quand des enfans (cet âge est sans pitié) tirent derrière lui des pistolets chargés à poudre, le sauvage bondit et rentre dans le bois.

Tout seul, ce dernier représentant d’une peuplade sur le point de descendre dans la tombe disparut derrière les sapins. Un mince filet de fumée bleuâtre s’échappait encore des feuilles de tabac et portait au ciel peut-être la dernière prière de ce Peau-Rouge dégénéré.


IV

D’après ce qui précède, le gouvernement fédéral, à plusieurs reprises, affecta des territoires à l’habitat des tribus indiennes, en les indemnisant pour payer les terrains qu’elles abandonnaient. Mais l’expérience a démontré que la propriété commune offrait de graves inconvéniens et conduisait à d’étranges abus. En théorie, le sol appartient à tous les membres de la tribu ; mais, en pratique, il finit par devenir la chose des plus influens et des plus riches, au mépris des droits des autres unités du clan.

De cette façon, les terrains qui constituent la propriété d’un seul acquièrent d’énormes étendues. Ainsi, la vallée de Washita, chez les Chickasaws, constitue une ferme unique de 50 milles carrés. On en compte d’autres de 4,000 acres et même de 8,000. M. Atkins, directeur des affaires indiennes, fut informé, en 1885, qu’un Indien creek possédait une propriété close de plus de 1,900 acres. Il faisait travailler sa terre par les indigènes de la tribu, ses parens peut-être, à raison de 16 dollars par mois. La récolte, comprenant 25,000 boisseaux de blé, lui revenait en entier. De telle sorte que le propriétaire s’enrichissait, tandis que la misère augmentait