Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/860

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désireuses de choisir leur terrain avant l’arrivée du gros des colons, offrirent à la compagnie Atchison des sommes colossales pour la location du premier train du 22, à destination de l’Oklahoma. Toutefois, la compagnie, redoutant sans doute les conséquences que pouvait entraîner son acceptation, refusa. Les settlers, furieux en voyant passer le convoi surchargé de voyageurs, auraient peut-être coupé la voie, tiré sur le train et causé d’irréparables désastres. La compagnie refusa donc d’assumer cette responsabilité.

Plusieurs jours avant la date fixée, de toutes parts, les colons débouchaient en masses pressées ; la compagnie du chemin de fer accumula du matériel en quantité suffisante et prit les mesures nécessaires pour transporter 5,000 iminigrans en un jour.

Le Territoire Indien devint le centre vers lequel rayonnaient de profondes colonnes de settlers, suivis de centaines d’enfans et de femmes, pourvus d’armes, de munitions, d’objets de campement et de vivres. Ces pionniers faisaient songer aux hordes confuses de barbares qui se ruèrent jadis sur l’Occident, mêlées où marchaient côte à côte le bétail, les chariots et les guerriers. La même passion agite la tourbe américaine ; mais celle-ci a des armes plus terribles, elle possède des instrumens plus perfectionnés, et, dans l’espace d’un instant, elle accomplit ses destinées, brise les obstacles et nivelle tout, hommes et choses, sur son passage.

Chacun accourant avec ardeur à la curée, le chemin de fer prenait à chaque station des multitudes de voyageurs qui s’entassaient dans les wagons, et les plates-formes de séparation regorgeaient de monde. Aux dernières gares, le train subissait un assaut véritable : les pionniers envahissaient les marchepieds, après avoir brisé les vitres et éventré les wagons à coups de hache ! De chaque côté de la voie, de lourds chariots enfoncés dans le terrain détrempé restaient en détresse.

Cinquante mille colons s’échelonnèrent ainsi sur la frontière de ce territoire, qui pouvait nourrir à peine 20,000 individus. Ces terrains, on le remarquera, passaient pour très fertiles et, pourtant, on comptait parmi les nouveaux venus très peu d’agriculteurs, mais surtout des ouvriers de toute espèce, escortés d’une tourbe de spéculateurs, d’aventuriers et de joueurs de profession. Les trains s’arrêtèrent à l’endroit où la troupe avait dressé ses tentes. Et, le soir, les feux de milliers de bivouacs enserraient la terre promise dans un cercle de flamme.

Le général Merrilt, chargé de contenir cette multitude et d’empêcher l’invasion des terres avant l’heure fixée, jugea prudent, à la suite de rixes sanglantes, de faire désarmer nombre de settlers. Mais, vu l’effectif réduit dont il disposait, une surveillance sérieuse