Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne put être établie et, à la faveur de la nuit, quelques colons se faufilèrent dans la réserve. Des cavaliers lancés à la poursuite des délinquans les criblaient de balles sans autre forme de procès et obligeaient les survivans à rebrousser chemin. Le commandant des troupes ne fit qu’une exception en faveur des pontonniers, chargés de jeter à l’avance des ponts sur les rivières que les settlers devaient traverser.

Le lundi, à midi précis, ces masses confuses se livrèrent à un mouvement formidable, comme la poussée d’une foule aveugle qui s’écrase dans un passage étroit, afin d’échapper à un danger imminent. Dévastant tout, la trombe humaine pénétrait enfin dans la terre promise. Les trains regorgeant de voyageurs arrivèrent les premiers, suivis de près par les cavaliers et les charrettes.

Les settlers se groupèrent dans les sites choisis d’avance pour l’établissement des villes. En un instant, les tentes couvrirent le nouveau domaine, comme les pâquerettes émaillent une prairie ; et des photographes disséminés à l’entour exécutèrent des épreuves instantanées de ces campemens où l’agitation était à son comble.

Le premier hôtel, fondé au capital de 2,500,000 francs, comprenait cinquante tentes, dont cinq réservées à la salle à manger. Dès le 22 avril, lendemain de l’arrivée des colons, le bureau de poste fonctionnait et le premier journal faisait son apparition.

Assemblées en un instant, les planches des maisons s’aligneront en rues, laissant entre elles des terrains vagues destinés aux squares de l’avenir. En quatre ou cinq jours, Oklahoma-City, Kingfisher et Guthrie se dressèrent comme par enchantement. Les emplacemens de ces villes paraissent heureusement choisis : le premier occupe le centre de la région nouvelle ; les deux autres, les points d’intersection des deux chemins de fer projetés. Sous peu, les pionniers, s’ils sont en assez grand nombre, dessécheront les marécages, abattront les forêts, défricheront les terres ; la charrue tracera les sillons, et les rails posés, dans les bois, sur les troncs d’arbre sciés à bonne hauteur pour préserver la voie des grandes crues, achèveront l’œuvre de pénétration. Pendant ce temps, on vivra sous le régime de la loi de Lynch, en adorant le dieu-dollar dans des temples au fronton desquels brilleront en lettres d’or les mots : Oklahoma Indian Bank.

On peut se demander si les settlers se renfermeront exactement dans les limites du nouveau territoire, sans chercher au dehors d’une frontière mal définie et encore moins surveillée, soit des terres plus fertiles, soit des mines ou même des esclaves ? Nous pensons qu’une telle éventualité n’est point impossible, fondant en partie notre opinion sur l’effroi que le voisinage de ces colons inspire aux Indiens, même les plus civilisés.