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Il est vrai que ces sortes d’expropriations ne se font qu’avec le consentement des intéressés et que quelques tribus, flairant le piège, refusent encore de répondre aux. sommations déguisées du gouvernement fédéral : le dieu-dollar les touchera de sa grâce et leur déliera la langue.

De la sorte, les îlots figurés par les réserves sur la carte des États-Unis ne peuvent tarder à être submergés par la marée montante de la population blanche, d’autant plus que l’on pousse activement les voies ferrées à travers les domaines des Peaux-Rouges. En janvier 1888, on comptait quinze voies nouvelles en projet ou en construction. Le congrès, libre d’accorder le droit de passage sur ces territoires, use largement de cette faculté. Dans les trois premiers mois de 1887, ce droit a été accordé six fois, pour des chemins de fer, des télégraphes et même des lignes téléphoniques. Suivant l’importance de ces concessions, la loi impose aux compagnies, sous peine de déchéance, l’obligation de terminer les lignes avant deux ans, ou d’en construire au moins 50 milles (83 kilomètres) dans l’espace de trois années.

En somme, le désintéressement que montre l’Etat à l’égard des tribus indiennes semble plus apparent que réel. Le gouvernement protège sans doute les Peaux-Rouges, disent les philanthropes, mais avec le secret espoir de voir bientôt disparaître ces indigènes plus nuisibles qu’utiles et dont les terres seraient mieux cultivées par les boomers du Far-West.

Dans un avenir plus ou moins rapproché, les Indiens paraissent devoir perdre leur nationalité. Traversés, nivelés, pétris par la civilisation, les descendans des Peaux-Rouges actuels, devenus de simples settlers sur un domaine mesuré par ordre du gouvernement, oublieront ce mot poignant d’un Huron qui refusait de vendre son patrimoine et repoussait toutes les offres, en répétant : « Dirai-je aux ossemens de mes ancêtres de se lever et de me suivre ? »


ALBERT DE CHENCLOS.