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à notre imitation, sur la proposition de Lafayette, qu’ont été rédigées les tables de la loi nouvelle, la déclaration des droits de l’homme. Ces droits de l’homme étaient-ils plus dogmatiques, plus philosophiques que notre déclaration des droits, ils n’en valaient que moins ; ils n’en étaient que moins pratiques, moins politiques. Ils posaient des principes vagues sans sanction. Votre congrès de 1776 n’avait pas voulu d’un pareil fatras métaphysique, œuvre d’idéologues ou de lettrés plutôt que de législateurs. Le malheur est qu’en nous imitant les Français prétendaient nous dépasser.

« Ils étaient les élèves et ils se plaisaient à faire les maîtres. Ils croyaient que, pour avoir un bon gouvernement, il suffisait de bien raisonner. Ils se flattaient de métamorphoser, avec leurs décrets, des esclaves et des courtisans en citoyens, et une vieille monarchie en jeune république. Leur illusion nous apparut dès le début. Jefferson, le plus radical de nos constituans, engageait Lafayette et ses amis à ne pas trop demander à la fois, à entrer en arrangement avec le roi, à assurer la liberté de la presse, la liberté religieuse, le jugement par jury, l’habeas corpus, avec une législature nationale, jusqu’à ce que le peuple fût capable de plus grands progrès. Cela sembla insuffisant aux impatiens de 1789, et, en 1889, tout cela n’est pas encore assuré. Lisez les lettres du successeur de Jefferson en France, Gouverneur Morris : « Ils veulent, écrivait-il en juillet 1789, quelques jours avant la prise de la Bastille, ils veulent une constitution américaine, avec un roi au lieu de président, sans réfléchir qu’ils n’ont pas de citoyens américains pour porter cette constitution. » En pilotes expérimentés, nous avertissions les Français qu’ils allaient sur des écueils ; mais ils négligeaient nos avis. Cette constitution, qu’ils prenaient pour le chef-d’œuvre de la raison, nous avions vu, dès le premier jour, qu’elle était inexécutable. A l’opposé des fondateurs de notre grande république, les Français de 1789 n’avaient, aucun sentiment des vices et des dangers du gouvernement populaire. Tandis que notre constitution avait pris, contre la démocratie, toutes les précautions possibles dans un pays démocratique, les législateurs français ne croyaient pouvoir montrer trop de confiance dans la bonté et dans la raison du peuple. La Révolution nous imitait là où l’imitation était dangereuse, et elle dédaignait nos exemples là où la France en eût pu profiter. Elle nous empruntait le principe de la séparation des pouvoirs sans savoir l’appliquer ; elle décidait que les ministres seraient pris en dehors de l’assemblée, et ne savait rien imaginer d’analogue à notre cour suprême, gardienne de la constitution contre les usurpations de la législature. En transportant le siège du gouvernement à Paris, en concentrant tous les pouvoirs dans la