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Après l’Américain, vint un Anglais, un baronnet membre du parlement, libéral unioniste, d’une vieille famille whig. « Messieurs, commença-t-il, l’Exposition universelle de 1889 semble nous avoir réunis pour célébrer le centenaire de la Révolution française ; mais doit-on célébrer les révolutions ? En fêter les anniversaires, n’est-ce pas prouver qu’on n’en est pas sorti ? L’an dernier, c’était le deuxième centenaire de 1688, la plus légitime des révolutions qu’ait enregistrées l’histoire ; nous n’avons même pas illuminé. A voir l’enthousiasme de certains Français pour 1789 ou 1792, on dirait des écoliers récemment émancipés et encore mal assurés de leur liberté. Ils semblent tout fiers d’avoir osé faire des révolutions et renverser des trônes. Il n’y a pas de quoi. L’Angleterre, elle aussi, et avant la France, a mis des souverains en jugement et décapité des rois. En cela, la Révolution française n’a même pas été originale ; elle n’a fait que nous copier ; mais c’est là une primauté dont l’Angleterre ne s’enorgueillit point. Y a-t-il eu des déchirures dans notre histoire, au lieu de les élargir, nous nous ingénions à les recoudre : voilà pourquoi nous sommes un peuple libre.

« Les Français attribuent à la révolution française une influence capitale sur les destinées du monde. Pour l’Angleterre et les pays de langue anglaise, ils se trompent. Si, à la fin du dernier siècle, l’une des deux nations a eu de l’ascendant sur l’autre, c’est bien plutôt l’Angleterre sur la France. Je ne nie point le contre-coup de la Révolution d’Amérique sur la Révolution française ; mais d’où les Américains avaient-ils apporté le germe de leurs libertés ? De l’Angleterre. En nous combattant, nos cousins d’Amérique s’appuyaient sur nos principes, sur nos lois, sur notre esprit. Leur déclaration des droits n’est que le rappel des libertés anglaises. C’est le génie britannique qui a fait les États-Unis ; les différences, entre l’oncle Sam et nous, viennent du sol. La liberté est anglo-saxonne de naissance ; et il avait raison, ce lord Massareene qui, débarquant à Douvres, en 1789, baisait à genoux la terre britannique comme la terre de la liberté.

« Les Français disent que leur révolution n’a fait qu’appliquer les idées de leurs philosophes. Je le veux bien, mais à quelle source avaient puisé leurs philosophes ? Le XVIIIe siècle français est issu du XVIIIe siècle anglais. Par là s’explique le contraste entre la littérature de Louis XV et celle de Louis XIV. Liberté politique, liberté religieuse, nous avons tout enseigné à la France et, par la France, à l’Europe. Toutes les théories du XVIIIe siècle, scepticisme, déisme, sensualisme, matérialisme, athéisme, droits de l’homme, théorie du retour à la nature, tout vient de chez nous, de Bolingbroke, de Toland, de Tindal, Collins, Mandoville, Woolston et autres