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plus artiste, partant plus apte à concilier les contraires. Le malheur de l’Europe est que la Révolution, virtuellement contenue dans la Renaissance, a été effectuée à coups de proscriptions et de guillotine, par un peuple sans expérience, impatient, emporté, immodéré, plus généreux que sage, plus passionné que réfléchi, ayant plus d’enthousiasme que de jugement, plus de fougue que de ténacité, facilement dupe des formules et des abstractions. Les triomphes et les mécomptes de la Révolution, ses élans comme ses chutes, sont venus, pour une bonne part, de la furia francese. On a dit que la Révolution avait produit tous ses mauvais effets en France, tous ses bons effets au dehors. C’en est une des raisons. En France, la Révolution a été comme un torrent dans des roches friables, ravinant et déracinant tout sur son passage : on n’a pas encore su en régulariser le lit. Au dehors, en s’éloignant de sa source, en rencontrant des terrains plus consistais, elle a perdu de son impétuosité ; il a été plus facile de l’endiguer. Je bois à la canalisation de la Révolution. »


Après l’Italien, vint un Grec, secrétaire du Sylloge de Constantinople, correspondant de l’Ephimeris et autres feuilles helléniques. — « La Grèce aussi a sa dette envers la Révolution française et envers la France. La Révolution a hâté notre résurrection nationale, et la France a secondé nos palikares de ses poules et de ses soldats. Mais, en faisant acte de philhellénisme, la France moderne n’a guère fait que nous rendre ce qu’elle avait reçu de nos ancêtres, car la Révolution française doit assurément plus à la Grèce que notre glorieuse révolution hellénique ne doit à la France. Pour remonter à l’inspiration première de la Révolution, il faut sauter par-dessus vingt-cinq siècles. La Renaissance revendique l’initiative de l’affranchissement de l’esprit moderne, mais d’où vient la Renaissance ? Des Grecs. N’est-ce pas nos savans échappeé de Byzance, avec leurs glossaires et leurs manuscrits, qui ont ranimé l’Occident et renouvelé ses écoles ? Le flambeau de la Renaissance s’est allumé à notre torche qui s’éteignait. Les véritables libérateurs de la pensée européenne, bien plus, les vrais maîtres de la Révolution, ce sont nos poètes, nos philosophes, nos historiens découverts par les humanistes, car ce n’est pas seulement d’une manière indirecte, à travers la Renaissance, que le génie grec a agi sur la Révolution, c’est, non moins, d’une manière immédiate, par les souvenirs et les exemples de la Grèce antique. La source de votre Révolution est dans le lit desséché de l’Hissus. C’est à nos républiques que ces Galates du XVIIIe siècle ont tout pris : maximes, procédés, droits du peuple, haine des tyrans, liberté, égalité. L’ombre de nos héros planait