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Révolution est une hérésie. C’est une hérésie formelle, fondée, comme les autres, sur des vérités incomplètes ou corrompues. C’est la vieille hérésie millénaire, rajeunie par les philosophes, mais non moins enfantine. Ce qu’elle poursuit, sous le nom de Justice et de Progrès, c’est le millenium attendu aux premiers siècles du christianisme, et qu’elle se flatte d’établir sur la terre, non plus avec le secours de Dieu et de ses anges, mais par les seules forces de l’homme. Elle prétend rouvrir à l’humanité le paradis fermé. Elle veut la faire entrer dans la terre promise, sans la colonne de feu qui conduisait les Hébreux. Les hommes ne sauraient se passer de dieux ; la Révolution leur a donné des idoles devant lesquelles fume leur encens : l’Humanité, la Science, le Progrès, l’État. La Révolution est devenue une foi, une religion ayant ses prophètes, ses saints et ses apothéoses, ses prodiges, ses légendes, ses rites, sa liturgie. Elle a son Credo, et le peuple incrédule croit en elle. Elle a beau l’avoir cent fois déçu, il s’obstine à attendre d’elle le renouvellement de la face de la terre, car ce que demande le peuple, ce n’est pas des droits abstraits ou des facultés politiques, c’est le bonheur, c’est la vie, c’est la félicité de l’Éden vaguement entrevu et vainement promis. Hélas ! son rêve de justice et de fraternité universelles, la France le poursuit, depuis 1789, dans des voies qui l’en écartent toujours. Veut-elle réaliser le règne de Dieu sur la terre : Adveniat regnum tuum, la démocratie n’y parviendra, autant que le permet l’humaine débilité, qu’avec le Christ et son Eglise. La Révolution a prétendu avoir les fruits du christianisme sans l’arbre qui les porte. Il n’y a de vraie liberté que sous le sceptre de Dieu. La rénovation de l’humanité doit commencer par la rénovation de l’homme. Les révolutions, la science, la politique, sont impuissantes à transformer les sociétés ; ce qu’il faut d’abord changer, c’est le vieil homme, le vieil Adam, et ce miracle ne peut se faire que par la charité, par l’humilité, par l’abnégation, par la croix. « La vérité vous donnera la liberté, » a dit le Christ. Pour avoir une république idéale, les peuples n’auraient qu’à pratiquer l’Evangile. Pour faire de cette misérable terre une demeure céleste, il n’y aurait guère, en vérité, qu’à appliquer le Sermon sur la montagne. Qui veut refaire une autre société, une autre économie politique, doit commencer par mater les instincts égoïstes. Si la nouvelle reine du monde, la démocratie, veut tenir ses promesses aux peuples, il faut qu’à son tour elle se fasse baptiser et sacrer par l’Église, autrement l’éternel Nisi Dominus s’appesantira sur elle : ayant bâti sa maison sur le sable, elle la verra emporter par la pluie et le vent. Si le vieux continent, imbu de l’antique paganisme, n’entend pas ces vérités, le Seigneur lui