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était resté quelques-uns dans la salle. Un d’eux se leva timidement, un bourgeois à cheveux gris, à lunettes d’or, un provincial, ni député ni fonctionnaire, un simple bibliothécaire de chef-lieu d’arrondissement, secrétaire d’une obscure société savante. « Messieurs, dit-il, en vous entendant, je me demandais ce qui restait à la France de la Révolution française. Ses fautes peut-être ; mais, si tout le reste est à d’autres, ses erreurs ne peuvent être entièrement à elle. N’importe, j’admets, avec vous, que la Révolution de 1789 a été encore plus européenne que française. Elle a été, si vous le roulez, le terme logique de notre civilisation occidentale, classique, chrétienne. Du Liban aux Alleghanys, chacun y a collaboré. Ce n’est point une rivière qui a jailli d’une source unique ; c’est un confluent : on y distingue les eaux, encore mal mêlées, de fleuves descendus des quatre coins de l’horizon. La révolution vient du plus loin de l’histoire. Elle procède de tout le passé de notre race ou de notre monde. Comment s’étonner de la d’illusion de ses principes ? État, religion, culture classique, tradition, elle sortait de tout ce qu’elle allait renverser. Elle était, en réalité, moins un point de départ qu’un aboutissement, moins un recommencement de l’histoire, comme elle s’en glorifiait, que la conclusion d’une période de l’histoire. A-t-elle ouvert une ère nouvelle, c’est qu’elle a clos une époque. Tout cela, je vous le concède. La Révolution en est-elle amoindrie ? Non, me semble-t-il. Pour n’être pas, ainsi que l’enseigne un magister de village, une sorte de prodige, d’apparition miraculeuse dans l’histoire, la Révolution ne perd rien de son importance. Pour être moins exclusivement française, elle n’en est que plus manifestement universelle : 1789 est bien une date européenne. En diminuant l’originalité de la Révolution, vous en faites ressortir la nature cosmopolite. De même, plus vous lui découvrez d’antécédens historiques, plus elle prend un caractère de fatalité. Comment la considérer comme un accident local, alors qu’on la voit poindre au fond des siècles ? Tout le passé de notre race blanche convergeait vers une révolution de nature abstraite, rationnelle, par là même cosmopolite. Les différens élémens de notre civilisation devaient, en se combinant, produire un mélange détonant, dont l’explosion subite devait faire sauter l’Europe. Mais pourquoi ce mélange s’est-il formé en France ? Personne ne l’a dit.

« À cela plusieurs raisons : la situation de la France au centre de la vieille Europe, et comme sur son méridien intellectuel, l’achèvement de l’œuvre de la monarchie française la plus ancienne du continent, le caractère de notre civilisation éminemment classique, la politesse de notre société et la douceur de nos impurs qui nous donnaient confiance en la bonté et en la raison humaines, et plus