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ils ne lui permettront jamais de se reposer longtemps sur l’amollissant oreiller du despotisme.

« Il y a dans ces principes, dans ces droits de l’homme qui excitaient la verve de Burke et de J. de Maistre, comme un ferment qui travaillera toujours les peuples modernes : l’idée du droit. Cette notion du droit, la Révolution française l’a fait entrer dans la conscience populaire, et si téméraires, si ambigus que vous semblent les droits de l’homme, quelque iniquité et quelque insanité qu’en aient tirées l’esprit de système ou les sophismes des courtisans du peuple, c’est là la gloire de la Révolution. Elle a mis le fondement de la liberté humaine dans la conscience de l’homme ; par là, elle lui a donné une base indestructible. En ce sens, la Révolution, qui a tout détruit, a posé une pierre sur laquelle construiront les siècles. Je sais que, pour une certaine science, cette notion du droit n’est qu’une illusion psychologique ou une superstition métaphysique ; mais malheur aux peuples qui laisseront le matérialisme ou le déterminisme leur arracher cette illusion et leur enlever la foi dans le droit ! Quelques griefs contre la Révolution qu’ait la puissance française, ce qui pourrait encore arriver de pire à la France, ce serait de renier 1789. Une France sans idéal serait, pour tous les despotismes, une proie mordant à l’hameçon du bien-être. Le jour où l’homme moderne ne rêvera plus le règne du Droit marquera l’avènement incontesté du règne de la Force, érigée en souveraine légitime des sociétés humaines. Déjà, dans les masses, la révolution n’est que trop infidèle à son premier principe. La démocratie, trahissant l’idée du droit, va réclamant le pouvoir, parce qu’étant le nombre, elle est la force. La restauration de l’empire de la force au profit des convoitises ignorantes, tel serait le dernier terme de la Révolution. Ce n’est pas ainsi que l’entendait 1789. Où est le péril pour le siècle qui vient ? Il est bien moins dans les vagues formules et les abstractions de 1789 que dans la perversion de la Révolution, abjurant sa foi en la liberté et substituant cyniquement les appétits au droit. Son crime, c’est son apostasie.

« De même pour les rapports de peuple à peuple. D’où vient l’apparente stérilité de la Révolution, dans les relations internationales ? De ce que l’Europe, rejetant les maximes de 1789, continue à courber le Droit devant la Force. De la Révolution est sorti le principe de nationalité ; mais ce principe nouveau, qui, en reconnaissant à chaque nation le droit de disposer d’elle-même, devait inaugurer pour le monde une ère de paix, a été faussé par les ambitions nationales ; d’un principe de liberté, on a fait un agent d’oppression. Le consentement des peuples a été jugé inutile aux annexions des conquérans, et, comme par le passé, l’indépendance des