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sainte, serait déshonoré. L’installation des légations européennes dans la capitale doit donc être considérée comme le signe décisif de la révolution qui a transformé toute la politique extérieure de la Chine et lancé l’empire dans les voies nouvelles, où ses mandarins l’ont dirigée avec une habileté qui était connue et avec une souplesse que l’on ne croyait pas rencontrer aussi alerte dans un gouvernement voué jusqu’alors à l’isolement diplomatique.

Si nous parcourons la collection du Tour du monde, nous y voyons figurer successivement, à partir de 1860, les relations de M. le comte de Moges, de Mme de Bourboulon, de M. Deveria (sous le pseudonyme de Choutzé), du général Prjéwalski, du docteur Piassetsky, etc. Les Russes fournissent un nombre contingent parmi les voyageurs en Chine. Dès avant les négociations et les guerres qui ont ouvert à l’Europe l’accès de Pékin, ils entretenaient dans la capitale une mission officieuse qui était plutôt tolérée que reconnue par le gouvernement chinois et dont le caractère n’était point nettement défini. Cette mission, composée de savans, continuait, avec moins d’éclat, le rôle qu’avaient tenu les pères jésuites au XVIIe et au XVIIIe siècle. Elle a produit d’excellens travaux sur l’ethnographie chinoise, mais son objet principal était certainement de renseigner le gouvernement russe sur les affaires politiques, et l’on s’explique l’intérêt particulier que la Russie, limitrophe de la Chine par la Sibérie, attachait au maintien de cette mission, transformée depuis en légation régulière. Il y a toujours entre Saint-Pétersbourg et Pékin des questions pendantes au sujet de la délimitation des frontières, soit sur le littoral, soit du côté de la Mongolie, et les traités qui interviennent de temps en temps ont bien soin de laisser aux négociateurs futurs quelques difficultés à régler. C’est ainsi que la Russie, n’ayant jamais pris les armes contre la Chine et s’étant tenue dans une neutralité bienveillante lors des guerres de 1842 et de 1860, garde à Pékin une situation exceptionnelle qui profite à sa politique et procure aux voyageurs qui se réclament d’elle, dans les provinces les plus reculées, un accueil et des facilités d’observation que n’obtiendraient pas encore, au même degré, des voyageurs anglais, français ou américains. S’appeler Prjéwalski ou Piassetsky, ou de tout autre nom de même désinence, c’est, auprès des mandarins, le meilleur des passeports. N’y a-t-il pas d’ailleurs, comme on l’a dit, une vieille affinité de race entre le Tartare et le Russe, si bien que les voyageurs moscovites, circulant en terre chinoise, ne se considèrent pas comme dépaysés ?

Ce fut en 1870 que le général Prjéwalski, alors capitaine, commença la série de ses voyages en Chine. Après avoir exploré